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« Mort naturelle » d’Arafat: les 4 pages du « rapport » français sont confidentielles

INFO PANAMZA. Contrairement à leurs homologues suisses et russes, les experts français chargés d'évaluer l'hypothèse d'un empoisonnement de Yasser Arafat ne publieront pas leur bref rapport. Décryptage.

Yasser Arafat n'est pas mort empoisonné

Tel est le titre lapidaire qui fut employé hier par le site de France Inter pour divulguer son "scoop": la station de radio dirigée par Philippe Val fut le premier média hexagonal à dévoiler l'information selon laquelle des experts français réfutent la thèse de l'empoisonnement de Yasser Arafat, président de l'Autorité palestinienne dont l'état de santé s'était brusquement dégradé en 2004.

C'est en début d'après-midi que France Inter dévoila l'info à travers un bref article au titre tout aussi catégorique que celui évoqué précédemment.

Yasser Arafat est mort de vieillesse

Yasser Arafat n'est pas mort empoisonné ! C'est ce qu'indiquent les experts mandatés par la justice française pour déterminer les causes du décès de l'ancien leader palestinien, à la suite d'une enquête ouverte par le parquet de Nanterre sur des soupçons d'empoisonnement. Les experts concluent aujourd'hui que Yasser Arafat est mort de vieillesse à la suite d'une infection généralisée.

"Ce rapport écarte la thèse de l'empoisonnement et va dans le sens d'une mort naturelle", indique une source proche (et anonyme) du dossier.

La nouvelle fut immédiatement reprise par l'ensemble de la presse écrite et audiovisuelle de l'Hexagone avant d'être -aujourd'hui- abondamment développée dans la presse étrangère.

A ce stade, en l'état des analyses effectuées et des pièces figurant au dossier, les experts concluent à l'absence d'un empoisonnement au polonium 210 de Monsieur Arafat (Communiqué du Parquet de Nanterre, 03.12.13).

Un léger détail, rapporté par l'agence de presse anglo-canadienne Reuters, semble avoir échappé aux éditorialistes et autres commentateurs :

« Je fais évidemment confiance à la justice et à la science dès lors que tous les experts parviendront à s'accorder », a dit Souha Arafat lors d'une conférence de presse à Paris, après avoir reçu le rapport français, qui ne sera pas publié.

Le 31 juillet 2012, la veuve de Yasser Arafat avait déposé plainte auprès du parquet de Nanterre pour "assassinat": le leader palesntinien avait mystérieusement succombé, le 11 novembre 2004, dans l'hôpital militaire Percy de Clamart. A la rentrée 2012, le Procureur de la République ouvrait une instruction judiciaire. Trois juges ont été ainsi nommés pour enquêter sur les circonstances de la mort d'Arafat. Treize mois se sont finalement écoulés jusqu'à la remise des conclusions du rapport médical français.

La particularité de celui-ci : la confidentialité qui l'entoure. S'affirmant sceptique, Suha Arafat, logiquement habilitée à avoir intégralement accès au dossier judiciaire, s'est plainte aujourd'hui, auprès de l'AFP, d'un détail troublant à propos de la remise (brièvement relatée par Reuters) du rapport:

Je suis très choquée que le rapport médical français qui m’a été transmis se résume à quatre pages.

C'est effectivement fâcheux : lorsque des experts suisses avaient été mandatés par la famille du défunt pour étudier (et finalement privilégier) "l'hypothèse de travail" de l'empoisonnement, ils ont dévoilé au public leur rapport, riche de 108 pages et consultable sur le site d'Al Jazeera. La chaîne d'information avait diffusé, début novembre, un long reportage exclusif sur le sujet.

Même chose du coté de Moscou : l'Agence fédérale médico-biologique russe (FMBA) chargée de remettre ses conclusions (finalement mitigées) avait délivré un rapport public doté de 17 pages et également disponible en ligne.

Les experts français sont les seuls à ne pas avoir divulgué publiquement leur rapport, à peine fourni de 4 pages.

Tawfiq Tirawi, président du comité palestinien chargé de l'enquête sur la mort de Yasser Arafat, a, quant à lui, fait savoir aujourd'hui à l'agence chinoise Xinhua qu'il n'avait pas reçu le rapport français. Il en va de même pour Nasser al-Qidwa, neveu du défunt et  président de la Fondation Yasser Arafat.

Jusqu'à présent, je n'ai pas vu ce rapport. Mais toute information nouvelle sur la mort d'Arafat, en particulier venant de France, devrait être cohérente avec le rapport de l'hôpital en 2004.

La réponse laconique et expéditive du Parquet de Nanterre devrait relancer la polémique, soulignée par le quotidien nationaliste panarabe Al-Quds Al-Arabi, sur le rôle de la France en 2004.

Israël s'est empressé de déclarer n'avoir aucun lien avec l'assassinat d'Arafat et de faire porter la responsabilité aux dirigeants palestiniens. Et d'affirmer que ceux-ci "avaient intérêt à l'assassiner dans le contexte de la lutte pour la succession". C'est oublier qu'il n'y a que les pays nucléaires qui possèdent du polonium, Israël étant un des rares pays au monde à faire partie de ce clan. C'est oublier aussi que le Mossad avait essayé, au moins à treize reprises, de l'assassiner.

La question qui se pose désormais est de savoir pourquoi on n'a pas su la vérité dès 2004, année du décès d'Arafat dans un hôpital parisien. Les médecins français qui l'ont veillé ont dû recevoir des instructions de la part des autorités françaises, en collaboration avec les Américains et les Israéliens, afin de cacher la vérité.

Ces raisons politiques de ce maquillage de la vérité, valables en 2004, le sont toujours aujourd'hui. A savoir protéger Israël contre l'éventualité d'une enquête criminelle et éviter les conséquences que cela pourrait avoir sur les négociations avec les Palestiniens.

Israël considérait Arafat comme un obstacle à la paix. Neuf ans après sa mort, rien n'a changé sur le terrain. Il est temps pour Israël de comprendre qu'aucun Palestinien ne renoncera aux principes patriotiques qui animaient Arafat.

L'Autorité palestinienne, la Ligue arabe et l'Organisation de la coopération islamique [OIC, dominée par l’Arabie Saoudite] devront tout faire pour éviter que le dossier soit enterré par la justice française. Il faudrait au contraire pousser à l'ouverture d'une enquête criminelle internationale et à avoir accès aux éventuels documents et rapports médicaux français qui ont été classés confidentiels.

Outre la légèreté et la confidentialité du rapport français, un autre détail devrait intéresser les citoyens, à travers le monde, qui s'interrogent sur l'indépendance de la justice hexagonale dans le traitement de ce dossier sensible.

L'homme à la tête du Parquet de Nanterre depuis décembre 2012 se nomme Robert Gelli: à peine nommé à son poste, il s'est défendu d'être un "ami" de François Hollande. Tous deux ont passé conjointement leur service militaire à la fin des années 70. Si une telle coïncidence ne suffit pas pour affirmer l'existence d'une quelconque accointance avec le pouvoir actuel, d'autres éléments relatifs au caractère politique de cette nomination sont plus significatifs.

De 1997 à 2001, Robert Gelli était le "conseiller technique" en charge des questions judiciaires au sein du cabinet de Lionel Jospin, alors Premier ministre. Dans l'exercice de ses fonctions, il côtoyait ainsi quotidiennement un certain Manuel Valls, alors conseiller presse et communication de Matignon. Au-delà de ses contacts a priori passés, Robert Gelli était surtout pressenti, selon Le Figaro, comme le futur directeur de cabinet du ministre de la Justice durant la campagne présidentielle de François Hollande. Celui-ci avait désigné André Vallini, sénateur socialiste de l'Isère, comme son conseiller spécial en charge des questions judiciaires. Finalement, en mai 2012, le nouveau président de la République portera sa préférence sur Christiane Taubira. Ce camouflet pour le tandem Vallini-Gelli a néanmoins révélé la proximité du magistrat (alors à la tête du Parquet de Nîmes) avec le noyau dur du Parti socialiste. Peut-on alors envisager que l'homme, désormais à Nanterre, puisse subir une quelconque pression sur un dossier impliquant de facto Israël, régime choyé par le PS?

Un sionisme inconditionnel est précisément le point commun des hommes servis ou côtoyés par Robert Gelli : François Hollande (déjà secrétaire du PS entre 1997 et 2001), Lionel Jospin, Manuel Valls et André Vallini ont démontré, à maintes reprises, qu'ils partageaient le même relativisme moral à propos des exactions commises par l'Etat hébreu.  Mieux encore : André Vallini, l'homme dont Robert Gelli devait être le bras droit à la Justice, est non seulement membre du groupe d'amitié parlementaire France-Israël mais également signataire (comme Manuel Valls) du "Pacte des Amis d'Israël". Ce document, sorte de manifeste ultra-sioniste, fut dévoilé lors d'une grande soirée (organisée en prériode électorale) dans laquelle l'auteur de ces lignes s'invita.

Superviseur des trois juges d'instruction qui enquêtent toujours sur la mort d'Arafat, Robert Gelli dispose là d'un atout personnel majeur. Rien ne suggère, à ce jour, que l'homme, réputé ambitieux et dans l'attente d'être nommé au prestigieux Parquet de Paris, puisse réorienter l'affaire dans un sens pro-israélien susceptible de plaire au tandem Hollande-Valls. Mais rien n'exclut désormais, au regard de l'opacité de l'expertise médicale française, la possibilité d'une instrumentalisation politique du dossier Arafat.

                 François Hollande devant le mausolée de Yasser Arafat, 18.11.13

En attendant la suite des investigations, les médias israéliens (et leurs relais en France) continueront probablement de s'en donner à coeur joie pour dénoncer ces "théories du complot" impliquant Tel-Aviv comme l'instigateur ou le complice d'un éventuel assassinat. Les anglophones pourront ainsi apprécier des débats de haute volée tel celui diffusé, début novembre, par i24news, la nouvelle chaîne internationale israélienne fondée par un ancien cadre de France 24 (Frank Melloul) et le propriétaire de Numericable (Patrick Drahi). Enjoy !

Hicham HAMZA

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