L’homme qui veut interdire le voile à l’université est un « militant hostile à l’islam » selon une chercheuse du CNRS
Info Panamza. Alain Seksig, le membre du Haut Conseil à l'Intégration qui s'est déclaré en faveur d'une interdiction du voile à l'université, s'était auparavant illustré dans plusieurs batailles à caractère islamophobe. Flashback.
Le site du journal Le Monde a révélé aujourd'hui l'existence d'un rapport controversé, élaboré par un groupe du Haut Conseil à l'Intégration et remis en avril au nouvel Observatoire de la laïcité. L'objet du scandale? Les membres du HCI, menés par Alain Seksig (nommé en 2009 par Nicolas Sarkozy), réclament l'interdiction du voile à l'université. Même l'UMP, à travers l'avis exprimé par Valérie Pécresse, s'opposa jadis à une telle décision.
Depuis mars 2004, le foulard islamique est déjà interdit dans les établisssements de l'enseignement primaire et secondaire. Désormais, les rapporteurs du HCI préconisent d'étendre cette interdiction à l'enseignement supérieur afin d'apaiser des troubles récurrents -selon eux- et liés à des revendications religieuses.
Celui qui mena cette mission pour le compte du HCI n'est pas un inconnu aux yeux des spécialistes de la question religieuse en France. Françoise Lorcerie, directrice de recherches au CNRS, a ainsi qualifié l'homme, le 17 avril 2012, en des termes éloquents dans un papier consacré à Patrick Gaubert, ex-président du HCI et de la LICRA (Ligue contre l'antisémitisme et le racisme).
"Epaulé dans cette tâche par Alain Seksig, inspecteur de l’éducation nationale et militant de longue date d’une laïcité hostile à l’expression de l’islam (il avait créé une mission laïcité au cabinet de Jack Lang en 2002, avant d’être un protagoniste de l’épisode de 2003-2004 contre le foulard), Patrick Gaubert a instauré une « mission laïcité » au sein du HCI, établi un « Groupe permanent de réflexion et de proposition sur la laïcité », organisé au début de 2012 un séminaire laïcité pour les cadres des ministères, et conclu en février d’une convention avec le ministère de l’éducation nationale, pour l’installation d’une mission « Pédagogie de la laïcité » au sein de l’administration.
Elle sera coordonnée par Abdenour Bidar, essayiste et professeur de philosophie."
Fiche mise en ligne par la LICRA
Quatre ans plus tôt, la chercheuse du CNRS avait publié un article particulièrement exhaustif dans la revue "Droit et société" et intitulé "La loi sur le voile : une entreprise politique". Voici l'analyse éclairante qu'elle rapportait sur l'homme qui vient de susciter la polémique.
"Alain Seksig, inspecteur de l'Education nationale, ancien militant d'extrême gauche, ancien instituteur devenu chargé de mission au FAS, ancien conseiller au cabinet de Jack Lang à l'Education nationale (2000-2002), où il initia la commission sur la laïcité à l’école, nourrit son propos d’anecdotes alarmistes sur des conduites d’élèves et sur certaines pratiques pédagogiques qu’il présente comme des égarements, en soulignant le besoin urgent d’une intervention politique pour refonder la norme laïque.
En 1999, au moment de l’affaire de Flers, Alain Seksig et Gaye Petek avaient écrit ensemble un « Rebond » au journal Libération. Leur argument est en sept points. En substance : le foulard est un « signe politico-religieux » ; il est discriminatoire : il fait voir la femme qui le porte, et il désigne celle qui ne le porte pas ; il ne s’agit pas d’exclure des filles, « les filles s’excluent d’elles-mêmes » ; la foi appartient à l’intimité : il faut interdire tout signe religieux ostentatoire, y compris la kippa ; il ne s’agit pas de stigmatiser l’islam et les populations musulmanes, mais de lutter contre l’intégrisme, voyez l’Algérie : France et Algérie, même combat ; il faut une loi qui redise les exigences de la laïcité à l’école : non à la ‘laïcité’ du Conseil d’Etat, qui permet aux parents d’élèves voilées de s’en prévaloir !
Cinq ans plus tard, l’argument formera la trame du rapport de la commission Stasi et semble être devenu l’opinion de la quasi-totalité du personnel politique et des citoyens, au point de pouvoir être présenté comme consensuel dans la nation par le chef de l’État. Serions-nous devant la success story d’une « minorité active » ? Mobilisation sur le long terme, savoir-faire militant, congruence dans l’adversité, les vertus caractéristiques des « minoritaires actifs » n'auraient-elles pas fini par payer ? Sans aucun doute. Mais il faut penser la réussite en termes systémiques. On vient de le voir, il y a eu convergence pour engager l’action entre experts activistes et conseillers d’État opposés de longue date à la position officielle, accompagnés par des intellectuels connus. Cette convergence a été pour le moins stimulée par la mobilisation qui s’était enclenchée indépendamment au début de l’année au sein du parti majoritaire, sur les mêmes idées à peu près."
La tribune de Libération, évoquée par Françoise Lorcerie, contient une introduction singulière : "En acceptant le foulard à l'école, on risque de transformer chaque musulman en intégriste. L'Etat doit légiférer. Clarté, fermeté, laïcité." Lorsqu'il deviendra, six mois plus tard, conseiller technique au cabinet de Jack Lang, alors ministre de l'Education nationale, Alain Seksig continuera de mener son combat au point de constituer, en février 2002, un précurseur "comité national de réflexion et de propositions sur la laïcité à l'école". Il sera auditionné en vue de la loi de 2004 contre le port des signes religieux à l'école. Deux ans plus tard, il supervisera, dans le même esprit alarmiste, un ouvrage intitulé "L'ecole face à l'obscurantisme religieux".
Alain Seksig, franc-maçon affilié au Grand Orient, participe aussi régulièrement à des débats sur le thème de la laïcité, parrainés aussi bien par l'association anti-musulmane Riposte laïque que par le mouvement juif maçonnique B'naï B'rith. Et il cumule les casquettes : membre du jury du Prix national de la laicïté, co-pilote du Projet Aladin, président des Entretiens laïques du XXème arrondissement de Paris, juré du Prix Annie et Charles Corrin (pour l'enseignement de l'histoire de la Shoah) et écrivain (sur Belleville ou les juifs d'Algérie).
Outre le fait d'accorder des entretiens à des revues ultra-radicales comme le neoconservateur Meilleur des mondes, Alain Seksig est un habitué des pétitions à la ligne idéologique cohérente: contre la critique d'Israël -présentée comme génératrice d'actes antisémites– suscitée en 2000 par la seconde Intifada, contre la critique –portée à l'ONU– de "l'islamophobie occidentale", pour le droit à la caricature islamophobe de Charlie Hebdo, pour la liberté d'expression antimusulmane –au nom de la LICRA– de Robert Redeker (qui lui témoigna en retour sa gratitude), pour la protection policière de Mohamed Sifaoui, contre la "propagande antisioniste" qui s'exercerait envers Pierre-André Taguieff et, enfin, pour une nouvelle loi sur les signes religieux.
En outre, pour justifier son opposition à ce que des femmes voilées puissent accompagner les enfants en sortie scolaire, voici ce que déclarait Alain Seksig au Point, dans un article d'Anne-Sophie Mercier (ex-pigiste de Charlie Hebdo) subtilement inititulé "Cet islam sans gêne" :
"Pour Seksig, il faut cesser de tergiverser. "Dans le cas de parents accompagnateurs de sorties scolaires, il ne s'agit pas pour eux d'accompagner leur enfant, mais de participer à l'encadrement de toute une classe lors d'une activité pédagogique. Visiter un musée où sont exposés des tableaux de nus peut devenir délicat, passer du temps dans une église pour en admirer des éléments uniquement artistiques aussi."
Pour empêcher l'accès à l'emploi de femmes musulmanes, le recours argumentaire à une prétendue pudibonderie ou à une religiosité anti-chrétienne est désormais possible. Rappelons ici que l'homme est membre du Haut Conseil à l'Intégration dont la mission consiste à proposer des mesures au gouvernement afin de faciliter "l’intégration des résidents étrangers ou d’origine étrangère".
A la veille de l'élection présidentielle de 2012, Alain Seksig enjoignait solenellement les candidats à adopter sa vision particulière de la laïcité, réduite à un cheval de bataille contre l'islam. Extrait.
Que nul ne s'étonne, dès lors, qu'il fut l'un des premiers acteurs publics à exploiter l'émotion paralysante suscitée par la mystification du 11-Septembre. Le 18 octobre 2001, dans une tribune publiée par Libération, Alain Seksig avait saisi l'opportunité de la terreur ambiante pour lui adosser son combat personnel :
"Les actes de terrorisme perpétrés le 11 septembre ont signé une volonté de déshumaniser l'humanité. Nous avons été submergés par cette forme suprême du mépris de la vie.
Aujourd'hui, le pouls de la société, nerveux, agité de soubresauts, bat plus fort; aujourd'hui, la violence du monde peut susciter chez nos élèves l'angoisse, et parfois même la tentation de la reproduction de la violence. Certains peuvent tomber dans les pièges de la confusion, des amalgames faciles islam et terrorisme, Etats-Unis et terrorisme, judaïsme et racisme…
Les événements tragiques que nous vivons nous font mesurer à quel point l'école est notre bien le plus précieux, à quel point elle doit demeurer au centre de notre attention collective. Certes, elle ne peut pas tout, et encore moins toute seule, pour éviter le fanatisme. Mais il est, en revanche, certain que le fanatisme prospère là où l'école démocratique est faible, là où la seule école est celle de l'embrigadement et de l'endoctrinement."
La messe est-elle dite? Alain Seksig a peu de chances d'obtenir gain de cause auprès de l'Observatoire de la laïcité mais l'idée est lancée. De même qu'il fut un précurseur, dès 1999, de la future loi interdisant le foulard à l'école, il n'est pas impossible que sa préconisation, écartée d'un revers de la main par Jean-Louis Bianco, ne puisse trouver, à l'avenir, une oreille plus favorable. Ainsi, si Manuel Valls –"lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël" comme l'a révélé l'auteur de ces lignes- devait devenir Premier ministre, voire président de la République, Alain Seksig redeviendra alors ce qu'il sembla paraître en 2004 : un avant-gardiste.
Hicham Hamza
Addendum 09/08/13: dans un entretien accordé aujourd'hui au Figaro, Manuel Valls juge "digne d'intérêt" la proposition d''interdire le voile à l'université. Outre son appartenance (passée) à la franc-maconnerie du Grand Orient, le ministre de l'Intérieur partage avec le rapporteur du HCI plusieurs combats idéologiques axés sur la même lecture répressive de la laïcité. En mars, les deux hommes ont été également consternés par le dénouement de l'affaire Baby Loup en faveur de l'employée voilée. Par ailleurs, leur chemin croise régulièrement celui d'un autre combattant auto-proclamé contre "l'islamofascisme" : Bernard-Henri Lévy. Ce dernier avait co-organisé avec Alain Seksig la soirée de soutien à Robert Redeker. BHL, récemment reconverti en guide d'exposition pour Aurélie Filippetti ou Manuel Valls, s'était aussi distingué à propos du voile : en 2006, il affirmait ainsi y voir une "invitation au viol".
One response to L’homme qui veut interdire le voile à l’université est un « militant hostile à l’islam » selon une chercheuse du CNRS
Bonjour
Suite à la lecture de cet article, je peux affirmer en tant qu'ancienne enseignante et collègue d'Alain Seksig dans une école parisienne de Belleville (années 90), que ce dernier n'est pas islamophobe. D'ailleurs aucun extrait de ses propos cité plus haut ne le démontre, contrairement à l'analyse que vous en faites.
J'y retrouve au contraire l'homme tolérant avec lequel j'ai travaillé durant de nombreuses années, juste et bienveillant, tant avec ses adjoints enseignants qu'avec ses élèves issus de milieux socio-culturels et religieux variés: mulsulmans, juifs, bouddhistes, athées…
Jamais il n'a manifesté le moindre signe d'islamophobie, ni d'autre discrimination, j'en témoigne. Quant à son parti-pris contre le foulard à l'Ecole, il est la manifestation de son respect de la laicité au sein d'un milieu public -l'Education Nationale- et s'associe, comme il est précisé dans votre article, à sa désapprobation du port de la kippa, par exemple.
Dans le cadre d'un souci de transparence démocratique, je vous serais reconnaissante de bien vouloir publier mon commentaire.
Cordialement
Francine Robert