Le « tireur fou » de Libération: pas assez basané pour être qualifié de « terroriste »?
"La qualification terroriste sera retenue à l’issue de la garde à vue"
François Molins, procureur de la République de Paris
Le 29 mai, le magistrat s’exprimait ainsi à propos de l’interpellation d’Alexandre Dhaussy, jeune homme soupçonné d’avoir agressé au couteau un militaire à la Défense. Présenté comme un musulman de fraîche date, le suspect (dont le nom de famille avait été curieusement passé sous silence, alors qu’il ne s’agit pas d’un mineur) aurait "agi au nom de son idéologie religieuse" d’après le procureur.
Si la plupart des médias avaient évoqué la conversion à l’islam du jeune homme âgé de 21 ans, aucun ne daigna faire publiquement son autocritique au sujet de la description précipitée qui circulait depuis quatre jours sur l’agresseur, présenté -à tort- comme un "Nord-Africain" d’environ "35 ans" ayant porté une "djellaba". Tel fut ainsi le cas, par exemple, de Dominique Rizet, "consultant police justice" de BFM TV.
La chaîne M6 avait alors diffusé les images capturées par les caméras de vidéo-surveillance de la gare RER où s'était déroulée l’agression : le teint pâle et la barbe épaisse (caractéristiques physiologiques dont "l’Afrique du Nord" n’a pas -a priori- le monopole), le suspect ne portait visiblement aucune "djellaba".
Aujourd'hui, mardi 19 novembre, c'est au tour de l'affaire du "tireur fou" (expression reprise par la plupart des journalistes de la presse écrite et audiovisuelle) d'illustrer la prouesse de la gymnastique sémantique déployée par la justice et les médias grand public.
Malgré le caractère politique des cibles visées par l'homme (pouvoir médiatique pour BFM TV et Libération, pouvoir bancaire pour la Société générale), le terme de "terroriste" n'a pas été retenu par le Procureur de la République de Paris et les éditorialistes.
Manuel Valls a évoqué aujourd'hui "un individu qui a semé la peur et la terreur" sans jamais faire allusion à une quelconque volonté terroriste.
Son "type européen" serait-il la cause d'une telle qualification a minima?
Flashback : nous sommes au printemps 2002. Le 7 avril, lors d’une manifestation parisienne de soutien à Israël, Alexis Marsan, commissaire de police, est grièvement blessé à la suite d’un coup de poignard porté à l’abdomen par un extrémiste sioniste. La Ligue de défense juive et le Bétar, groupuscules radicaux de la mouvance pro-israélienne, avaient démenti toute implication.
Cinq ans plus tard, l’agresseur présumé sera publiquement identifié par la 2ème division de police judiciaire : il s’agit de Julien Soufir, Franco-Israélien, âgé de 20 ans au moment des faits. En 2007, l’homme fait la Une de la presse israélienne en raison de son inculpation pour le meurtre raciste d’un chauffeur de taxi arabo-israélien.
A l’instar de son épouse, une autre proche de Julien Soufir récusa alors l’accusation de "racisme" mais le qualifia néanmoins d’"extrémiste religieux, un peu fou".
En 2002, le parquet de Paris avait ouvert une information judiciaire pour "tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique". Cinq ans plus tard, c’est -plus précisément- le qualificatif de "tentative d’homicide volontaire" qui sera retenu à l’encontre de Julien Soufir. Nulle mention relative au "terrorisme" en dépit de "l’idéologie religieuse" -pour reprendre l’expression de François Molins- ostensiblement affichée, de 2002 à 2007, par Julien Soufir.
Si la différence de traitement s’explique partiellement par l’évolution -depuis onze ans- de l’arsenal législatif, il faut également y voir le signe d’un tabou tacite -et rarement évoqué de manière explicite: policiers, journalistes et procureurs utilisent sans rechigner le terme de "terroriste" dès lors qu’il s’agit d’un musulman interpellé; en revanche, un acte commis par un extrémiste juif ou chrétien aura difficilement droit à la même sémantique.
Le cas le plus célèbre de ce favoritisme inconscient est, sans nul doute, celui d’Anders Breivik : cet autre ultra-sioniste n’avait jamais caché sa motivation religieuse quand il se déclarait, dans son manifeste, "partisan d’une Europe mono-culturelle chrétienne". Même si le terme de "fondamentaliste" ne peut pas lui être rigoureusement appliqué -au regard de son dédain personnel pour la pratique rituelle au quotidien-, un éminent spécialiste du nationalisme religieux, Mark Juergensmeyer, reconnaissait qu’on peut néanmoins qualifier l’individu de "terroriste chrétien". Pourtant, aucune mention au christianisme ou à un extrémisme se référant à la Bible n’est faite, depuis l’été 2011, dans la plupart des commentaires politiques ou médiatiques à son sujet.
Cette omission est encore plus flagrante à propos de l’acte commis en 2002 par Julien Soufir. Non seulement l’affaire a été largement passée sous silence mais, comble de l’autocensure, il ne viendra jamais à l’esprit d’un journaliste mainstream ou d’un homme politique hexagonal -interrogé sur cette histoire- de qualifier l’intéressé de "terroriste sioniste". Dans son cas comme dans celui de la récente agression du militaire de la Défense, il s’agissait pourtant, de la même manière, de s’en prendre à un "représentant de l’Etat".
L’homme, qui n’a jamais été jugé pour ses actes commis en France, a finalement été interné dans l’hôpital psychiatrique israélien d’Arbabanel, suite à son acquittement judiciaire -vigoureusement contesté par la famille de la victime. Au printemps 2009, Julien Soufir, considéré comme étant "inapte" pour un procès pénal, ne comprenait toujours pas la cause de son internement et demandait à retrouver la liberté. Selon le quotidien Haaretz, "ses docteurs indiquèrent [alors] qu’il avait fait des progrès et qu’il devait être libéré dans les mois suivants". Soit deux ans, seulement, après avoir commis son crime.
A ce jour, aucune demande d’extradition de Julien Soufir auprès d’Israël n’a encore été formulée par les autorités françaises.
Hicham HAMZA
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