Qatar : un poète est condamné à 15 ans de prison pour avoir « insulté » l’émir
Délit d’opinion. La Cour de cassation du Qatar a condamné aujourd’hui Mohammed Ibn al-Dhib al-Ajami à 15 ans de prison en raison de ses poèmes fustigeant, entre autres, la politique « répressive » des régimes arabes.
« Un scandaleux déni de justice ! » : c’est ainsi que l’avocat Naguib al-Nuaimi avait qualifié le verdict -rendu, en novembre dernier, à huis clos par la cour criminelle de Doha- à l’encontre de son client Mohammed Ibn al-Dhib al-Ajami, condamné alors à la prison à vie. Aujourd'hui, la Cour de cassation de Doha a confirmé la peine de 15 ans de prison, prononcée entretemps en appel.
Ce poète qatari, âgé de 37 ans, est détenu à l’isolement depuis le 16 novembre 2011 pour avoir porté « atteinte à la Constitution », « insulté » -selon la loi locale– l’émir et « diffamé » le prince héritier. Passible de la peine de mort, l’un des motifs d’inculpation fait également référence à l’article 130 du code pénal qatari qui traite de « l’incitation au renversement du pouvoir en place ».
Plusieurs organisations internationales de défense des droits de l’homme avaient déjà fait état d’un procès entaché d’irrégularités. Amnesty International évoqua une « scandaleuse trahison de la liberté d’expression ». L’avocat avait escompté, fin 2012, une grâce royale par l'ex-émir Hamad bin Khalifa. En vain.
En janvier 2011, au déclenchement des révoltes contre Ben Ali, al-Ajami affirma dans un poème intitulé « Jasmin tunisien » que « nous sommes tous la Tunisie face à une élite répressive ». Cinq mois plus tôt, avant le soulèvement des peuples arabes, le poète avait déjà mis en ligne un texte critiquant l’émir du Qatar et son entourage, faisant allusion à ces « cheikhs qui jouent sur leur Playstation ». Une vidéo d’al-Ajami déclamant un extrait de son poème a été mise en ligne sur Youtube en juillet 2010.
Pendant plusieurs années, le puissant émirat s’est targué d’avoir contribué à la liberté d’expression dans le monde arabe, notamment à travers la création d’Al Jazeera en 1996 et du Centre de Doha pour la Liberté des Médias en 2008.
Pourtant, une disposition législative, votée en juin 2012, prévoit dorénavant de rendre passible toute critique de l’émir ou des pays voisins du Golfe d’une amende maximale de 275 000 dollars. Malgré les élections -sans cesse reportées– de son Conseil consultatif, le Qatar continue pourtant d’incarner le premier supporter officiel des « printemps arabes ».
Cela ne l’empêche pas d’exprimer parfois un double langage en matière démocratique. Tel fut le cas lors des révoltes du Bahreïn, violemment réprimées avec la complicité du Qatar, membre de l’alliance des pays du Golfe à l’origine de cette « contre-révolution ».
Reste à connaître la position de la France envers le cas flagrant de délit d’opinion dans l’affaire al-Ajami. François Hollande et Laurent Fabius oseront-ils pointer du doigt le pays avec lequel une véritable « lune de miel », selon les termes du journaliste Georges Malbrunot, est entretenue de part et d’autre ? Au vu de la traditionnelle indulgence dont a fait preuve la France, jusqu’alors, à l’égard des régimes autocratiques du monde arabe, rien n’est moins sûr.
Hicham HAMZA
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