L’ultime facétie de Stéphane Hessel
Esprit frappeur. Aujourd'hui, une place Stéphane Hessel a été inauguré au coeur du XIVème arrondissement de Paris dans lequel une élue locale, Valérie Maupas, s'était distinguée par des propos insultants à son encontre au lendemain de sa mort. Flashback.
A l'initiative du maire Bertrand Delanoë, le Conseil de Paris avait adopté, fin mars, la décision d'attribuer le nom de Stéphane Hessel à un lieu de la capitale. Décédé un mois plus tôt, le diplomate avait longtemps été un résident du XIVème arrondissement : en conséquence, le choix de la place dédiée à sa mémoire se porta dans le périmètre situé à proximité de son ancienne demeure, aux abords de la station de métro Edgar Quinet.
Ce lundi 21 octobre, en présence de son épouse Christiane, du maire de Paris et de son adjointe Anne Hidalgo, une cérémonie s'est tenue sur la nouvelle place Stéphane Hessel.
Réputé pour ses engagements en faveur des droits des Palestiniens, l'ancien résistant n'était pas apprécié par la frange ultra-sioniste de la communauté juive. L'un de ses membres est d'ailleurs en charge du territoire sur lequel un lieu est désormais dévolu à la mémoire de Stéphane Hessel.
Au lendemain de sa mort, Valérie Maupas, membre du Parti socialiste et adjointe au maire du XIVème arrondissement de Paris, exprimait ainsi, sur Twitter, sa dissonance particulière : « Une mise au point : le paradis des indignés, ça n'existe pas. On va avoir affaire à des poètes toute la journée… Je fatigue déjà ».
Quelques minutes plus tard, elle surenchérissait sur un mode plus cynique : « Une surprise immense, un choc. Jamais, je n'aurais cru que ça arriverait si vite… #toiaussirendhommage ».
Avant d’ajouter froidement :« Tous les élus de France vont devoir renouveler leur comité de soutien… #hessel ».
Une heure plus tard, le ton persifleur demeurait identique : « Il ne verra pas la 2è défaite de l'OM face au PSG cette semaine. C'est peut-être mieux comme ça… #Hessel ».
Répondant à un tweet de Vincent Glad (alors chroniqueur au Grand Journal de Canal+) qui propose la lecture de l’ouvrage « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel, Valérie Maupas lui rétorqua ceci : « On peut mais on veut pas… ça doit être aussi mauvais la 2è fois, non ? ».
L’élue socialiste continua dans le même registre en s’adressant, à propos de la joie de la Ligue de défense juive, au journaliste Samuel Laurent : « Les gens ont le droit de le conchier, non ? Y a une loi contre ça ? ». Ce message a été effacé entretemps de son compte mais demeure lisible sur celui du journaliste du Monde qui l’a retweeté. Ayant suscité alors l’étonnement de l’assistant parlementaire Bruno Bernard, Valérie Maupas persista : « Les gens s'expriment selon ce qu'ils ressentent, c'est humain ».
Samuel Laurent lui rappela que la LDJ était un « groupe extrémiste ». Réponse laconique de Valérie Maupas : « C'est une bande de débiles extrémistes et ils sont 12 à tout casser. Laissez-les où ils sont : à la marge ».
Un tel mépris envers la mémoire du pro-palestinien Stéphane Hessel et un tel relativisme moral au sujet de la LDJ ne doivent guère surprendre : Valérie Maupas est également la « vice-présidente chargée des relations avec les élus » au sein de « Socialisme et judaïsme », une association membre du CRIF et dévolue au rapprochement franco-israélien. Dans le comité d’honneur de cette structure, on remarquera la présence de la députée Danièle Hoffman-Rispal, la présidente du groupe parlementaire France-Israël qui a tenu, le 13 février, un discours en mémoire d’Ilan Halimi face à un public composé, entre autres, de membres de la LDJ.
Le 8 février 2012, Valérie Maupas avait signé un appel, paru dans Libération et intitulé « Français juifs et de gauche ». Un passage du texte ne manque pas de piquant, au regard de l’attitude affichée alors par l’élue socialiste : « Il est urgent pour préparer l’avenir de raviver dans notre morale républicaine les valeurs d’humanisme, de tolérance et de respect ».
Ironie du sort : un autre détracteur communautariste de Stéphane Hessel officie désormais à proximité de la place portant son nom. Richard Prasquier, ex-président controversé du CRIF, avait rédigé un éditorial particulièrement véhément à l’annonce de sa mort. L'homme est récemment devenu collecteur de fonds pour Israël en prenant la tête de la nouvelle antenne française du Keren Hasseyod (organisme international fondé en 1920 pour favoriser et consolider la création de l'Etat hébreu). Ses bureaux sont situés dans le XIVème arrondissement, place de Catalogne, à quelques dizaines de mètres de la place Hessel.
Valérie Maupas et Richard Prasquier n'arpenteront pas le lieu pour rendre hommage à l'homme qui "dansa avec le siècle".
La vie de ce diplomate de carrière, féru de poésie, fut émaillée d'engagements en faveur de plusieurs causes, notamment relatives à la "solidarité internationale".
Son dernier combat était pourtant le plus controversé.
En 2003 avec son épouse et Yasser Arafat
L’homme, dont le père était juif et qui a lui-même connu la torture et la déportation dans les camps de concentration, était régulièrement visé, encore aujourd'hui, par les thuriféraires les plus zélés et les plus odieux d’Israël : à la manière d’Elisabeth Lévy, Pierre-André Taguieff ou Gilles-William Goldnadel, ceux-ci ne tolèrent pas qu’un membre de la communauté juive, considéré de facto comme un traître, puisse soutenir le boycott international des produits israéliens en provenance des territoires palestiniens occupés.
En janvier 2009, le nonagénaire, toujours empli de fougue, avait participé aux manifestations contre les sanglantes attaques du territoire de Gaza.
Trois ans plus tard, de passage à Strasbourg en compagnie d'Elias Sanbar, Stéphane Hessel ne manqua pas de fustiger, avec une certaine ironie, les "indignés" israéliens qui protestaient contre "le prix du fromage" en négligeant "l'occupation illégale, par leur pays, de la Palestine" (à 3').
La question palestinienne était qualifiée par le trublion facétieux de "problème pesant" pour l'équilibre mondial. C'était le 22 janvier 2013: le journaliste indépendant Mathias Leboeuf avait réalisé un entretien avec Stéphane Hessel. En guise d'introduction à la discussion, ce dernier confessait sa fatigue et regrettait, le sourire aux lèvres et avec courtoisie, de ne pas être plus présentable.
Stéphane Hessel avait ainsi accordé sa dernière interview. Il y fut question de la joie "spinozienne" héritée de sa mère, du "bonheur" vécu auprès de son épouse depuis 35 ans, de sa passion pour la poésie et de l'enjeu du combat pour la Palestine.
En 1935 avec sa mère et son frère
"Lorsque je pose la question "Où faut-il aller?", la réponse vient tout de suite. Il faut aller à la mise en oeuvre de la Déclaration universelle des droits de l'homme" : telle fut la dernière phrase prononcée alors par l'ancien résistant.
Hicham HAMZA
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