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Libération

Jacques Derogy, enquêtes closes. Le journaliste d'investigation meurt à 72 ans.

par Jeanne VILLENEUVE
publié le 1er novembre 1997 à 13h08

Il est des journalistes qui font rêver sur le journalisme. Jacques

Derogy était presque un mot générique dans le petit monde de la presse d'investigation. «Est-ce que vous pourriez être un Derogy?», demandait facilement son vieux complice Jean-François Kahn, alors patron de l'Evénement du Jeudi, au candidat à l'embauche. Gare à celui qui en aurait été sûr. L'homme qui est mort jeudi d'un cancer à l'âge de 72 ans, n'est pas de ceux auxquels il est facile de se comparer, même sur le seul créneau du journalisme. Rescapé des rafles de l'Occupation avec son père Henri Weitzmann, entré dans la Résistance en Ardèche à 19 ans , ce licencié de philosophie, fera son premier reportage pour le journal Franc Tireur en 1947 sur l'épopée des juifs de l'Exodus cherchant à gagner Israël. Plus tard, en 1972, il retrouvera Paul Touvier. Entre-temps, il aura dénoncé l'affaire Ben Barka avant de se passionner pour les «avions renifleurs», l'affaire Parretti, les Irlandais de Vincennes ou le Carrefour du développement" Presque impossible de trouver une grande affaire de ces cinquante dernières années qui l'ait laissé indifférent. Jacques Derogy, grand reporter à l'Express (1959-1987) puis à l'Evénement du Jeudi, n'était jamais blasé. Il n'aimait rien autant que le fait divers et le scoop. La moindre piste enthousiasmait ce petit homme souriant, presque toujours vêtu d'un imper beige et équipé d'une serviette en cuir bourrée de dossiers. Derogy cherchait tout le temps ce qu'on appelle la vérité, tout en prenant ces distances à son égard: «Quant à la vérité, écrivait-il, chacun l'attire à soi comme la plus facile des filles. Mais se laisse-t-elle prendre si vite? Il est une forme de facilité plus difficile même que le refus"» Sceptique, l'homme était aussi un écrivain prolixe. Auteur ­ seul ou avec son compère Jean-Marie Pontaut ­, d'une trentaine d'ouvrages dont la Loi du retour (1970), Israël la mort en face (1974); Enquête sur un juge assassiné (1977), Bonaparte en Terre sainte (1992), le Siècle d'Israël (1995, avec Hesi Carmel) il choisissait toujours le traitement journalistique, se voulant avant tout un témoin, un historien du temps présent, dénonçant le mélange des faits et des commentaires . Ce qui ne l'empêcha pas d'être un militant, du Parti communiste et d'Israël, mais, dans les deux cas, il n'ira pas au-delà de certaines de ses convictions. Partisan du planning familial, son livre Des enfants malgré nous lui vaudra, selon ses proches, d'être exclu du PCF par Maurice Thorez. Plus récemment en août dernier et hier dans Le Monde, il dénonçait l'idée du Grand Israël et la politique de Netanyahou dans les territoires occupés: «Les forces de paix d'Israël, en difficulté nous le demandent: exigeons sans attendre le pire, le retour au dialogue de paix israélo-palestinien et arabe» (1).

Difficile donc d'être un Derogy après celui-là, surtout qu'il faudrait, de surcroît, rester modeste: le hasard était selon lui le seul dieu des journalistes. (1) Tribune publiée le 13 août 1997.

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