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Frank Tapiro, le fils de pub de Nicolas Sarkozy

Ancien disciple de Jacques Séguéla, enfant de la "génération Mitterrand", il vend désormais ses slogans au président de l'UMP.

Par Raphaëlle Bacqué

Publié le 31 août 2006 à 15h24, modifié le 28 novembre 2006 à 15h41

Temps de Lecture 5 min.

On ne peut pas en placer une. Deux rendez-vous de deux fois trois heures pour ne parler que de lui et on a dû interrompre le flot de paroles. On a donc eu le récit détaillé de quarante ans de parcours, des copains du lycée aux requins de la publicité. Et on a fini par sourire en l'entendant clamer à propos de Nicolas Sarkozy qu'il "adore" : "Ce qui est formidable, avec lui, c'est qu'il sait écouter..."

Frank Tapiro est le genre de grand garçon sympathique qui vous fabrique un tee-shirt à slogan personnalisé pour la moindre fête de famille et compose des mélodies dans le studio d'enregistrement qu'il s'est installé au sous-sol de son agence de publicité. Enfant de Neuilly-sur-Seine, les sarkozystes n'ont pas été surpris de le retrouver auprès du président de l'UMP : il avait toujours été dans le paysage.

L'éviction du publicitaire Christophe Lambert (Publicis) - coupable d'avoir introduit auprès de Nicolas et Cécilia Sarkozy le séduisant Richard Attias, qui provoqua le conflit conjugal que l'on sait - l'a propulsé dans le cercle des concepteurs de la campagne électorale qui s'annonce. Le voilà donc dans ses bureaux aménagés façon loft, dans une ancienne usine de Clichy-la-Garenne, comme il se doit dans ce milieu.

Toutes les six semaines, il se rend avec son compère Jérôme Doncieux, militant UMP et patron d'une petite agence de presse, au ministère de l'intérieur pour présenter au futur candidat à la présidentielle leur bébé : la "sarko-météo". Un décryptage des médias, classé en trois genres : ensoleillé (tout ce qui est positif pour Nicolas Sarkozy), nuageux (les problèmes qui s'annoncent), pluie et orage (les ratages complets). "Un mélange d'intuitions justes et de banalités", explique-t-on sans acrimonie à l'UMP. "Une base de discussion pour alimenter Sarkozy, un marchepied pour le rencontrer", reconnaît Jérôme Doncieux. "On ne peut pas le conseiller en communication, il serait bien meilleur que nous,sourit Frank Tapiro. Mais on lui dit franchement la perception que les gens ou la presse peuvent avoir de lui."

Cela a son utilité. Conscient que le mot "rupture" lancé par le patron de l'UMP pouvait effrayer les électeurs et renvoyer à ses propres difficultés privées, Frank Tapiro a ainsi imaginé ce qui est devenu le nouveau slogan du candidat : "Imaginons la France d'après". Il en a conçu le clip vidéo, composé la musique, chanté la chanson, écrit le texte dit par Nicolas Sarkozy. Et adorerait, dans le secret de son coeur, que "la France d'après" soit à Sarkozy ce que "la force tranquille" a été à Mitterrand : le résumé de son succès. Car une grande partie du parcours de Frank Tapiro s'est construite dans l'ombre du pape de la publicité politique : Jacques Séguéla.

Tapiro n'est, au départ, qu'un jeune homme amusant, un habile jongleur de mots. Son père, d'origine juive espagnole, représentant en pièces détachées, a été rapatrié de la frontière algéro-marocaine jusqu'à Paris, en 1962. Sa mère a suivi pratiquement le même voyage dramatique des pieds-noirs d'Algérie, jusqu'à Toulouse. Ils ont dix-huit ans d'écart, doivent reconstruire leur vie et espèrent avoir des filles. Ils auront quatre fils - Frank, Michael, Jonathan et Yankel - qu'ils élèveront dans l'amour du sport, l'admiration de l'Amérique et l'attachement à Israël.

La famille s'est installée à Neuilly, les garçons fréquentent le lycée Pasteur. Un établissement au charme formidable, auréolé de la gloire de ses anciens élèves devenus stars du show-biz. Le jeune Frank suivrait volontiers la voie, mais, bon fils, il veut bien tenter médecine. Evidemment, il rate les inscriptions, se retrouve en faculté de pharmacie, fait un malaise le jour de la rentrée et "échoue" finalement à l'Institut supérieur de gestion, en 1984.

Dès son arrivée, le jeune Frank - il a 19 ans - propose de monter une agence de publicité étudiante et de démarcher les commerçants du quartier. Il imagine aussi de réclamer des stages aux grandes agences avec ce slogan tout droit inspiré de Jacques Séguéla, qui se clame partout "fils de pub" : "Adoptez l'enfant pub !" Miracle : Séguéla lui-même envoie un télégramme : "J'adopte. Tendresses. Jacques S." Frank monte alors à Neuilly un grand colloque sur la publicité. 1 200 étudiants sont conviés, une trentaine de publicitaires en vue débarquent, et... le maire de la ville, Nicolas Sarkozy, fait le discours d'ouverture. Le communicant et le politique : Tapiro ne perdra jamais de vue ces deux parrains.

Son diplôme en poche, en 1987, il entre en stage chez Euro-RSCG. L'agence travaille notamment sur les campagnes de François Mitterrand, qui songe déjà à se représenter à l'Elysée. Jacques Séguéla est en discussion avec le chanteur Renaud. Cogitation à l'agence. "Je vois bien Renaud dire à Mitterrand, "Allez, Tonton, laisse pas béton"", lâche Frank Tapiro comme une boutade. Adopté. "Quelques mois plus tard, j'ai voté Mitterrand. C'était ma génération, explique-t-il aujourd'hui. Bien sûr, ensuite, j'ai déchanté."

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Il reste pourtant fou de politique. Presque toujours anti-chiraquien (une "catastrophe"), du fait notamment de la politique arabe du président. A peine séduit, un temps, par le balladurisme. "Il a même été consulté lors de la campagne pour Lionel Jospin en 2002", affirme Stéphane Foucks, coprésident d'Euro-RSCG. Mais, au fond, il reste fidèle à un Nicolas Sarkozy qu'il admire. En 1996, il s'émancipe en fondant Hémisphère droit (en référence à la partie du cerveau qui gère l'émotionnel), une filiale au sein du groupe Euro-RSCG. Lorsque, en 1997, Nicolas Sarkozy prendra le RPR à la faveur du chaos provoqué par la dissolution, c'est son agence qui héritera du budget d'un RPR exsangue. Frank Tapiro imagine alors ce slogan : "Vous en avez assez d'avoir la droite la plus bête du monde ? Nous aussi. Adhérez au RPR." Cela pourrait assez bien résumer son opinion politique personnelle.

En 2002, Hémisphère droit a pris son indépendance et quitté "à l'amiable" Euro-RSCG. Depuis, il gère quelques gros budgets d'entreprises et a glané le marché des campagnes de l'UMP. "Ce n'est ni un homme d'études, ni un stratège, ni un intellectuel,résume Stéphane Foucks. Mais, dans sa légèreté et son intuition, il lui arrive d'être assez juste." Il n'a pas sa carte du parti. Mais cet été, à leur retour d'Israël où ils possèdent une maison près de Tel-Aviv, ses parents ont adhéré à l'UMP.

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