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« J'ai commis l'erreur de collaborer avec les services de l'antiterrorisme français »

Tribune. Pierre Torres, journaliste, est l'un des quatre otages français libérés de Syrie le 19 avril 2014.

Publié le 17 septembre 2014 à 08h37, modifié le 17 septembre 2014 à 12h41 Temps de Lecture 4 min.

Juin 2014, me voilà au siège de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) avec mes anciens co-otages. Nous sommes face à plein de gens sûrement très importants qui nous expliquent en chœur qu'ils ont Nemmouche et qu'il était peut-être l'un de nos geôliers en Syrie. Ils précisent que, en théorie, ils ont la possibilité de le garder encore des jours et des jours mais que bon, comme ils l'ont déjà depuis un moment, ils vont devoir le refourguer aux Belges.

Lire aussi (édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés Le djihadiste Mehdi Nemmouche, geôlier des ex-otages en Syrie

On sait que la police peut à peu près tout faire avec ceux que l'on soupçonne d'être terroristes, mais là, il y aurait urgence et il faut que nous rappliquions dare-dare pour déposer. Certes, l'oiseau en question n'est pas près de s'envoler et quand bien même il aurait participé à mon enlèvement, quoi qu'il arrive, il n'est pas tout à fait près de sortir de prison. Mon témoignage n'a donc non seulement aucun intérêt pratique à ce moment-là, mais il n'en a aucun dans l'absolu.

GRAVITÉ DE LA SITUATION

Parmi nos hôtes d'importance, Camille Hennetier, procureure, qui dirige le parquet antiterroriste. Elle nous promet qu'aucune instruction ne sera ouverte contre ce suspect, au sujet de notre enlèvement, tant qu'un danger pèsera sur les otages occidentaux. Elle attendra que la crise soit finie. Elle comprend la gravité de la situation. Elle nous rassure.

Trois mois s'écoulent jusqu'à ce qu'une lecture audacieuse de l'actualité pousse on ne sait qui à décréter que le temps était venu de révéler le contenu de nos dépositions. Qu'il est facile d'être audacieux lorqu'on n'est pas en Syrie enfermé entre quatre murs !

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Depuis l'assassinat de James Foley, le 19 août, de nombreuses informations ont fuité et de nombreux mensonges ont été proférés. Cela au détriment des familles de ceux encore détenus en Syrie. Les mensonges peuvent émaner de n'importe qui, pas les fuites. Ou plutôt si, nos dépositions ont pu fuiter par n'importe quel bout de l'antiterrorisme français mais pas sans l'aval et l'intérêt de tous.

Aux questions telles que : « Reconnaissez-vous Medhi Nemmouche ? Est-il le sarcastique et pétulant jeune homme que l'on dit ? », il me faut répondre par une autre question : pourquoi le parquet, la Direction générale de la sécurité intérieure ou on ne sait quel juge, donnent-il accès à des dépositions qui, un jour ou l'autre, seront légalement rendues publiques ? Lequel d'entre eux a-t-il perdu à Action ou vérité ?

OPÉRATION DE PROMOTION

Cela relève évidemment de l'opération de promotion. Promotion de quoi ? Nous ne le savons pas encore – promouvoir la nouvelle loi antiterroriste en discussion au Parlement, démontrer que « les services » servent à autre chose qu'à mettre en examen des adolescentes de 14 ans « pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » –, nous verrons bien. Ce qui est certain, c'est que la seule chose qui puisse justifier la mise en danger des autres otages, c'est que quelqu'un ou quelque institution policière a vu là la possibilité de se faire mousser.

Du point de vue des organisateurs de cette fuite, l'opération a bien fonctionné. « Jeune-délinquant-Arabe-Syrie-attentat-France-terrorisme-antiterrorisme », toute l'artillerie sémantique est déballée afin de finir de nous convaincre que nous avons toutes les raisons d'avoir peur. Nemmouche n'est pas un monstre. C'est un sale type, narcissique et paumé, prêt à tout pour avoir son heure de gloire. Ses raisons d'aller en Syrie se rapprochaient probablement plus de celles qui, à un certain degré, mènent des adolescents américains à abattre toute leur classe ou certains de nos contemporains à participer à une émission de télé-réalité, qu'à une quelconque lecture du Coran. Ce qu'il incarne, c'est une forme particulièrement triviale de nihilisme. Il est, à cet égard, un pur produit occidental, labellisé et manufacturé par tout ce que la France peut faire subir à ses pauvres comme petites humiliations, stigmatisations et injustices. L'empilement sans fin de nouvelles lois antiterroristes en est l'une des facettes.

In fine, tout le discours antiterroriste est ce qui auréole un Nemmouche de gloire. Sans cela, il aurait été considéré pour ce qu'il est, un pauvre type qui assassine des gens pour passer à la télé. En retour, on peut donner toujours plus de pouvoirs aux policiers et aux juges de l'antiterrorisme. Pouvoirs qui ne permettront évidemment pas d'arrêter plus de Nemmouche mais qui, en revanche, resserrent encore un peu plus le maillage policier et le contrôle de la population.

Ces nouvelles prérogatives concernent des restrictions de circulation et d'expression pour certaines personnes dont le profil sera considéré à risque par un ou plusieurs Big Brothers bienveillants : la possibilité pour des parents d'inscrire leurs enfants aux fichiers des personnes recherchées ; une association de malfaiteur à une seule personne – un humour auquel Nemmouche sera des plus sensibles. Et, glissé subrepticement dans le tas, un arsenal de pénalisation de la cybercriminalité qui s'attaquera davantage à des initiatives de libre information comme WikiLeaks, plus qu'à des poseurs de bombe sur Internet.

J'admets avoir commis une erreur en collaborant avec le service de police politique qu'est l'antiterrorisme. Cela va à l'opposé des positions et des combats que représente mon engagement de journaliste. Je m'en excuse auprès des familles de ceux que cette négligence a mis en danger.

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