"La plupart des systèmes que nous développons, intégrons ou gérons impliquent de protéger des informations liées au renseignement, à la sécurité nationale et à d'autres activités sensibles ou classsifiées du gouvernement. Une fuite dans l'un de ces systèmes pourrait porter un grave préjudice à notre activité, ainsi qu'à notre réputation, et nous empêcher de travailler à nouveau avec le gouvernement américain", note le formulaire d'enregistrement de Booz Allen Hamilton (BAH) auprès du gendarme de la Bourse américaine.
La même société annonçait mardi 11 juin dans un communiqué qu'Edward Snowden, employé à Hawaï dans les trois derniers mois, avait été licencié la veille. Les révélations de M. Snowden sur l'espionnage généralisé d'Internet mis en place par le gouvernement américain, et qui a également visé des Américains, sont jugées "choquantes" par BAH, qui ajoute que "si cela était vrai, cette action représenterait une grave violation du code de conduite et des valeurs fondatrices de l'entreprise".
Sans attendre de mea culpa en bonne et due forme, et alors que le président Barack Obama a d'ores et déjà reconnu l'existence du programme dénoncé par Edward Snowden, les investisseurs sanctionnaient le cours de Bourse de la société, qui accusait le coup, reculant encore après sa glissade de près de 2,5 % la veille.
L'"OREILLE" DU GOUVERNEMENT AMÉRICAIN
Car le géant des SSII (société de services en ingénierie informatique), plus connu pour son activité de conseil en stratégie (séparée du groupe depuis 2008 sous le nom de Booz & Company), est placé sous la lumière crue des projecteurs médiatiques depuis que son rôle comme "oreille" du gouvernement américain a été révélé.
Certes, l'entreprise n'a peut-être pas conçu l'architecture du système d'espionnage mais, en tant que prestataire, elle a certainement occupé des fonctions "support", de maintenance notamment. D'ailleurs, un autre des employeurs d'Edward Snowden était le constructeur et fournisseur de services informatiques Dell, auprès de qui l'Agence de sécurité nationale (NSA) sous-traitait également.
Voir notre infographie : "Comprendre le programme "Prism""
La société, classée parmi les 500 plus grosses entreprises cotées aux Etats-Unis, tire 98 % de ses revenus des caisses publiques. Et le domaine de l'intelligence économique pèse environ pour un quart de ses revenus (soit environ 1 milliard d'euros de chiffres d'affaires sur la dernière année fiscale). Un équilibre qui l'amène à ménager ses entrées dans les coulisses de la défense américaine.
L'amiral à la retraite Mike McConnell travaillait pour Booz Allen en 2007 quand il a été nommé à la tête du renseignement aux Etats-Unis... avant de retourner deux ans plus tard diriger l'activité de "sécurité nationale" chez BAH. Un des anciens patrons de la CIA, James Woolsey, est vice-président de l'entreprise.
L'actuel directeur du renseignement national, James Clapper, est un ancien de Booz Allen. Il s'est justifié en affirmant que le rôle de plus en plus large qu'occupait l'entreprise auprès du gouvernement était "dans une certaine mesure la preuve de l'ingéniosité, de l'innovation et des capacités du prestataire".
LES FAIBLESSES D'UN GÉANT DE L'INTELLIGENCE
Depuis le 11-Septembre, les contrats avec le secteur privé se multiplient dans le renseignement. Outre Dell, Lockheed Martin et CSC sont deux autres des concurrents de Booz Allen sur ce créneau. Les montants des contrats tournent souvent autour de plusieurs millions de dollars. En janvier, BAH a remporté une mission auprès de l'agence de renseignement militaire pour 5,6 milliards de dollars (4,2 milliards d'euros) sur cinq ans.
Côté effectifs, le nombre total de personnes habilitées "secret défense" se monte à près de 854 000 individus, dont 265 000 travaillent pour le secteur privé, selon des calculs du Washington Post. L'association de surveillance des dépenses publiques POGO relève que "peu de gens savent que près d'un million de sous-traitants [tous niveaux d'accréditation confondus] sont autorisés à s'approcher des dossiers hypersensibles". Chez Booz Allen, ce sont près de 80 % des 25 000 employés qui sont concernés.
Plus étonnant, le gouvernement américain a continué de faire confiance à BAH après un incident embarrasant survenu en 2011. Le collectif militant Anonymous (qui avait attaqué les sites de cartes de crédit Visa et MasterCard en réponse à leur décision de bloquer les versements au site de publication d'informations confidentielles WikiLeaks) avait piraté le réseau de l'entreprise et publié une liste d'adresses électroniques et de mots de passe.
Le rôle du fonds d'investissement Carlyle, qui a pris la majorité des parts dans l'entreprise après la scission avec Booz & Company, laisse également songeur : spécialisé dans les rachats d'entreprises liées à la défense, il a réussi à tirer profit de ses connections avec les officiels de Washington (il a notamment employé l'ancien président George Bush père). Son investissement dans BAH lui a rapporté à l'heure actuelle 2 milliards de dollars, estime le magazine Forbes.
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