Qui est Patrick Pelloux, l'étrange docteur de « Charlie Hebdo » ?

Au lendemain des attentats, Patrick Pelloux s’est imposé comme le porte-voix de Charlie Hebdo, quitte à écarter ceux qui le gênaient et à froisser ses amis. Dans le dernier numéro de Vanity Fair d'octobre 2015, Sophie des Déserts a reconstitué les derniers mois de cet étrange médecin, désormais démissionnaire de Charlie, qui cherche la lumière pour oublier les souffrances.
Patrick Pelloux  Docteur Charlie Mister Pelloux
Patrick Pelloux photographié chez lui pour « Vanity Fair » le 18 août 2015, neuf mois après l’attentat de « Charlie Hebdo » où plusieurs de ses amis ont trouvé la mort sous les balles des frères Kouachi.Thibault Montamat pour Vanity Fair

Ça lui a pris au cœur de l’été. Patrick Pelloux affrontait une nuit d’insomnie, une de plus, dans son petit appartement perché non loin de Montmartre. La veille, il avait encore donné le change, entre deux interviews rondement menées sur la canicule où il rappelait la nécessité « de boire et de pisser régulièrement » et une apparition solennelle pour un hommage à la police diffusé sur France 2. Mais loin des caméras, inévitablement, les mauvaises pensées revenaient. Chez lui, seul avec Solange et Michèle, ses deux chattes, l’urgentiste flottait sur un rock mélancolique de Bruce Springsteen, entre les murs immaculés. Il n’y avait plus rien, plus une photo ni un dessin de Charb, son meilleur ami, l’ancien directeur de Charlie Hebdo assassiné par les frères Kouachi. Seul un matou malicieux griffonné un soir de fête restait scotché sur la porte d’entrée. Pelloux a enlevé tout le reste, dans l’espoir de se libérer des tristes souvenirs. Mais tout le ramenait encore à Charb, à commencer par les deux policiers lourdement armés, postés jour et nuit sous ses fenêtres. Alors il s’est dit : « Charlie*, c’est fini, j’arrête. »* Il a allumé son ordinateur et commencé à taper sa dernière chronique. Il avait déjà le titre : « Raccrocher les crayons », puis les mots ont coulé naturellement sur une soixantaine de lignes. « Ami lecteur, comme il est doux de vous écrire comme depuis douze ans, chaque semaine... » Il s’est souvenu des conférences de rédaction « avec tous ceux qui ne sont plus mais aussi ceux qui sont encore là, de ces moments rares où certains trouvaient mes chroniques talentueuses », avant de citer, un à un, tous ses copains de Charlie et d’évoquer, plein d’émotion, la vie sans Charb : « Je n’arrive plus à regarder mes textes sans ses dessins, a-t-il écrit. J’ai perdu mon ombre, j’ai perdu ma lumière. » Pelloux, comme souvent, a laissé filer sa plume, sans craindre d’en faire des tonnes. « Rassurez-vous, je vais pas trop mal, sans idée suicidaire ! Je ne suis pas devenu toxicomane, obsédé sexuel, photographe pernicieux, paresseux au travail ni odieux avec qui que ce soit. » Les doigts fébriles, il a conclu : « Je m’en vais sans tambours ni trompettes, avec le bonheur d’avoir été pendant un temps de ma vie dans un magnifique journal. »

Les quelque 300.000 lecteurs de Charlie Hebdo n’ont pas eu droit à ce vibrant au revoir. Au dernier moment, Patrick Pelloux a préféré le remplacer par une chronique sur les vertus du yoga. La lettre d’adieu est dans la mémoire de son ordinateur. « Tenez, si ça vous intéresse, voilà ce que j’avais écrit », soupire-t-il en imprimant sa prose dans un joyeux bazar – piles de livres, de dossiers, des plantes posées sur le sol. Il reçoit chez lui ce lundi matin, après deux rendez-vous oubliés au café d’en bas, excusés par de brefs SMS avec tutoiement express et smileys à foison. Il a les pieds nus dans ses chaussons en éponge. Il porte un jean et un vieux T-shirt Nike. Cheveux en bataille, sourire ailleurs. Quelque chose de Balavoine. Les raisons de sa volte-face semblent un peu confuses. « Quand je suis passé au journal, bafouille-t-il, la secrétaire de rédaction, Luce, était en larmes. Je n’aime pas faire de mal, vous savez, je déteste faire de la peine aux gens. » Il verse du thé vert dans sa tasse Mickey, avant d’ajouter avec ce ton toujours lyrique, plein d’emphase, comme s’il tenait une AG : « Imaginez un peu mon départ en plein été, dans une actualité creuse, ça aurait fait la “une” des journaux : “Pelloux s’en va”, quel bazar ! Alors je suis allé voir Riss [le successeur de Charb à la tête de Charlie Hebdo] et je lui ai dit que finalement, je restais. » [Le 26 septembre 2015, Patrick Pelloux a toutefois annoncé son départ du journal.]

Il est ainsi, Patrick Pelloux : touchant, débordant, versatile, full sentimental et follement narcissique. L’urgentiste le plus célèbre de France ne touche plus terre. Depuis le massacre du 7 janvier, depuis que ses larmes ont coulé sur tous les écrans de France, il est devenu une icône. Il incarne le nouveau visage de Charlie, rescapé au verbe haut, héraut soudain de la liberté d’expression, invité des chaînes de télé et des voyages officiels, de Tunis à La Havane, au côté de son ami François Hollande. L’étrange médecin de Charlie Hebdo capte toute la lumière et n’en finit pas d’intriguer. Il marche sur une ligne de crête, change de direction, de ton, de visage. Docteur Courage, éblouissant par son humanité et sa résistance ; docteur Maboul, souvent porteur d’embrouilles. Au journal, certains s’offusquent de « l’OPA victimaire » qu’il a réalisée, cette propension à s’emparer si vite du drame, comme s’il portait seul la souffrance du groupe. Pelloux a lié son destin à celui de Charlie. Depuis ce terrible 7 janvier 2015, il en incarne les contradictions, les déchirures et les malentendus.

Lors de la marche républicaine du 11 janvier, François Hollande réconforte son ami Patrick Pelloux. (PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP)

PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Document falsifié

Il virevolte dans les salons dorés de l’Élysée en cette brûlante après-midi du 29 juin. Patrick Pelloux reçoit la Légion d’honneur et tous se pressent autour de lui : ses deux enfants, son ex-femme, des ministres (Marisol Touraine et Najat Valaud-Belkacem), le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, celui de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, les copains médecins, quelques collègues de Charlie, ses amis célèbres aussi : Josiane Balasko, Bernard-Henri Lévy, l’humoriste François Morel, Michel Drucker (accompagné de son épouse Dany). Le chanteur Benabar sourit en admirant l’urgentiste dans son costume Paul Smith. « Je l’ai aidé à choisir sa tenue, confie-t-il. Malgré son petit côté anar, Patrick est très respectueux du protocole. Il tenait à être bien habillé. » Sous les ors de la République, le fort en gueule a l’air d’un communiant, joues rosissantes, mains jointes derrière le dos. Il n’a pas eu le temps de cirer ses vieux souliers mais son discours, lui, est bien lustré. Il l’a préparé avec une amie qui prête occasionnellement sa plume à de grands patrons, puis il a répété avant la cérémonie devant son cousin, un chaleureux gaillard spécialement venu du Sud-Ouest. « Patrick a toujours été un showman, rappelle-t-il, tout ému. Petit, il amusait la galerie. À 16 ans, il disait qu’il serait ministre de la santé ! » L’enfant de Combs-la-Ville, en Seine-et-Marne, a toujours frémi devant les lumières de Paris. Son père kinésithérapeute qui, de son vivant, ne l’a jamais trop pris au sérieux, pourrait être fier. « Quand je vois où il est arrivé, chuchote le cousin. Quand je vois qu’il côtoie tous ces gens importants, qu’il tutoie même le président... »

Bizarrement, le temps de la cérémonie, François Hollande préfère vouvoyer Patrick Pelloux : « Votre vie, comment la résumer ? Vous avez voulu soigner les institutions, la société française, le monde... Dès qu’il y a une souffrance, vous voulez l’apaiser ; ça fait beaucoup de travail. » Rires dans l’assemblée. Le chef de l’État évoque leur rencontre, durant la canicule de l’été 2003. L’urgentiste (alors en poste à l’hôpital Saint-Antoine, à Paris), affolé par le nombre de morts, interpellait tous azimuts les responsables publics. C’est ainsi que Pelloux a conquis les médias et les politiques, ainsi qu’il navigue depuis plus de dix ans entre la médecine et les paillettes, les vieilles dames et les puissants, infatigable zébulon, rebelle et courtisan. Dans son discours, François Hollande ne parle pas des nombreuses marques d’attention de Pelloux, ses visites à Tulle pour défendre les hôpitaux de proximité, son soutien durant la campagne présidentielle de 2012 et aussi après, lors de la parution du brûlot de Valérie Trierweiler. « Mon pote François », avait-il alors écrit dans Charlie Hebdo ; sa chronique médicale s’était transformée en une longue déclaration d’amitié qu’il concluait ainsi : « Je ne lâche pas un pote humilié, même président avec seulement 13 % de popularité, une crise politique et économique monstre. Et s’il n’en reste qu’un... » Hollande a été touché : Pelloux est un de ses indéfectibles. Et le drame de Charlie a soudé à jamais les deux hommes. « Le 7 janvier, vous n’étiez plus qu’un pleur, une larme », rappelle le chef de l’État, soudain grave, avant de saluer en lui « le médecin, le syndicaliste, l’écrivain, l’homme qui a gardé sa candeur d’enfant ». Pelloux fixe la foule, savoure les applaudissements. Au micro, il dit : « J’ai confiance en mon pays pour vaincre la folie nazie » (c’est ainsi qu’il désigne Daech à longueur d’interviews). Il évoque chacun de ses amis et remercie la terre entière, jusqu’aux commerçants de son quartier, tous ceux qui l’aident à tenir « quand les attaques des crotales sont trop fortes ».

Pelloux croqué par Charb dans Charlie.

« Les crotales », l’expression revient sans cesse quand Patrick Pelloux désigne « les gens qui [lui] veulent du mal ». Sur l’estrade de l’Élysée, évidemment, il ne s’étend guère mais tout l’auditoire sait à quoi il fait allusion : l’affaire a bien failli gâcher la fête. Quatre jours plus tôt, un article du Point a porté au grand jour la rumeur qui courait depuis des mois : François Hollande aurait demandé qu’une indemnité de 1,4 million d’euros soit versée à Patrick Pelloux sur les fonds alloués par l’État aux victimes du terrorisme. L’hebdomadaire se fondait sur un document signé de la main de l’ancien directeur du cabinet de Christiane Taubira au ministère de la justice, Gilles Le Chatelier. « Un document falsifié », assure, catégorique, le prétendu signataire, aujourd’hui redevenu avocat d’affaires (il a déposé une plainte pour « faux » le 5 mars et a été auditionné par la police). De son côté, Patrick Pelloux a saisi la justice contre Le Point. Ses amis de Charlie auraient pu prendre sa défense : ils l’avaient fait en 2004 lorsqu’on l’accusait d’être proche des Témoins de Jéhovah (la charge venait du député spécialiste des sectes, Jean-Pierre Brard, que Pelloux a poursuivi en diffamation... avant de se désister la veille du procès). Laurent Léger, grand reporter au magazine satirique, a plaidé sa cause en conférence de rédaction : « Attaquer Patrick, c’est attaquer Charlie*. »* Mais bien peu l’ont suivi. Et Riss, le nouveau directeur, a tranché : « Non. Patrick, ce n’est pas l’image du journal. » Certains l’ont même interrogé dans les couloirs : « Pour de vrai, combien tu as touché, toi ? » Rien, zéro, a-t-il juré – sans tout à fait convaincre, puisqu’une bonne partie de l’équipe a perçu des avances du fonds d’indemnisation (de 10.000 à 30.000 euros), y compris ceux qui n’étaient pas présents le jour de l’attentat. Le poison du soupçon l’a atteint. Furieux, il répète : « Comment peut-on m’accuser d’avoir touché plus d’un million, moi qui n’ai jamais cherché à faire du pognon ? Je n’ai évidemment pas touché un centime. »

À Charlie, les questions d’argent font tourner les têtes. C’était Pelloux qui, au printemps, alpaguait Riss et Éric Portheault, le directeur financier, tous deux actionnaires du journal : « C’est vrai que vous touchez les dons sur vos comptes personnels ? » Les caisses du journal sont aujourd’hui tellement pleines : environ 4,5 millions d’euros de dons, plus la recette des 220.000 abonnements et les ventes au numéro qui, sans atteindre les 8 millions d’exemplaires de l’édition post-attentat, avoisinent les 100.000 exemplaires (contre quelque 18.000 avant janvier 2015). Total : près de 20 millions d’euros de réserve. Gloire subite, presque indécente, ravageuse dans un petit journal devenu un symbole planétaire. Et pourquoi, et comment continuer à faire rire quand les meilleures plumes ont disparu et que les images de l’horreur, elles, ne s’éteignent jamais ? « Dire qu’on était un fanzine fait par une bande de rigolos qui s’amusaient et qui buvaient des coups... se désole Pelloux. Tout ça, c’est mort. » Après la cérémonie à l’Élysée, il a convié tout le monde chez O’Sullivans, un pub irlandais situé non loin du palais. Orchestre, petits fours, champagne et cocktails à volonté, le médaillé a bien fait les choses mais il n’y a pas grand monde de Charlie pour trinquer, aucun membre de la direction. Riss n’a même pas répondu à son invitation.

Jadis, ça ne se serait pas passé comme ça. Pelloux, au journal, c’était le chouchou des patrons. Philippe Val était heureux de l’avoir recruté. C’était juste après la crise de la canicule. « Je l’avais remarqué à la télévision, explique-t-il. Patrick était un bon client, il parlait bien. Je me suis dit qu’il serait intéressant de lui confier une chronique sur le mode : “Vu aux urgences”. Tout le monde l’a accueilli à bras ouverts. » À l’époque, Pelloux savourait sa célébrité, il avait eu, disait-on, la peau du ministre de la santé, Jean-François Mattei (qui ne fut pas reconduit, en 2004, après sa gestion calamiteuse de la canicule qui avait fait 15.000 victimes en France). Aux commandes de son syndicat, l’Association des médecins urgentistes de France qu’il préside depuis 1998, il commençait déjà à faire la pluie et le beau temps au ministère. Les politiques lui couraient après, les éditeurs et les journalistes aussi. « Il se prenait pour Bernard Kouchner, jusqu’à mimer ses gestes, ses expressions, l’intonation de sa voix », se souvient son ami Philippe Nuss, psychiatre à Saint-Antoine. L’urgentiste vedette visait un poste de chef de service dans cet hôpital. Mais il fut remercié – fait rarissime – en 2008 puis recasé au Samu de l’hôpital Necker sur intervention de Bertrand Delanoë, alors maire de Paris. À présent, il y est chargé de la régulation des appels, avec une trentaine de personnes dans une immense salle ; il ne voit plus beaucoup de patients. Pelloux s’est toujours plaint d’avoir payé cher ses emportements durant la canicule. Ceux qui l’ont côtoyé à Saint-Antoine se souviennent surtout d’un médecin militant devenu incontrôlable, qui brillait par ses absences et ses incessantes tirades contre la direction. Même Philippe Nuss, le fidèle, le reconnaît : « Patrick poussait toujours le bouchon trop loin. Il avait un langage fleuri, il était va-t-en-guerre, râleur, donneur de leçons. Malheureusement, plus personne ne le soutenait. »

Au côté de François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste, en 2003. (FREDERICK FLORIN / AFP)

FREDERICK FLORIN / AFP

À Charlie, on a toujours aimé les grandes gueules. Pelloux collait donc bien à l’esprit « à gauche toute » : militant du service public, pilier de la fête de l’Huma, fan de Coluche et de La Grosse Bertha (un canard antimilitariste lancé en 1991 après la première guerre du Golfe auquel bon nombre d’auteurs de Charlie ont collaboré). Cela ne l’a pas empêché d’appeler à voter Bayrou en 2007, d’être un temps séduit par Sarkozy, d’avoir monté le comité de soutien de l’ex-rocardien Pierre Larrouturou en 2013 ni de revenir par la suite dans le giron du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Les louvoiements de Pelloux font partie de son charme. Ses amitiés ont toujours été éclectiques, d’Emmanuelle Béart à la philosophe Cynthia Fleury, des Têtes Raides, ces rockers un peu punks, à Michel Drucker... « Nous sommes très proches, confirme volontiers l’animateur de Vivement Dimanche. Un jour, Patrick m’a même embarqué au Samu avec lui, ni vu ni connu. J’étais déguisé en médecin – il sait combien j’aurais rêvé de l’être. Je suis aussi, comme vous le savez sans doute, un grand hypocondriaque et Patrick est toujours prêt à rendre service. » Au fil des ans, Pelloux a ainsi fait son trou dans le show-­business. C’est lui qu’on appelle quand il faut jouer le rôle d’un toubib à l’écran et il s’est ainsi laissé filmer dans Incognito d’Éric Lavaine en 2009, Mauvaise Fille de Patrick Mille en 2012 et, plus récemment, dans le Saint Laurent de Bertrand Bonello. C’est lui aussi que l’on sollicite pour les petits et les grands maux de l’existence. Jack et Monique Lang ont frappé à sa porte au printemps 2013 quand leur fille, atteinte d’une tumeur, a voulu, une dernière fois, voir la mer. « Ce n’était pas possible, elle était trop fragile, regrette Pelloux. Avec mes copains pompiers, on l’a mise sur un brancard et on l’a emmenée devant le lac du bois de Boulogne. » Au même moment, il proposait son concours au patron de TF1, Nonce Paolini, pour conseiller la production du jeu Koh Lanta, empêtrée dans une polémique après la mort d’un candidat. Qu’il était serviable Pelloux, toujours disponible à Charlie aussi pour une consultation express, une ordonnance de pilules ou d’antibiotiques. Et qu’il était drôle avec ses histoires à dormir debout, de fesses le plus souvent, de viscères, de misères humaines... Elles ont toujours irrigué ses chroniques, qu’il balance souvent brutes, comme un compte rendu médical, et qu’il faut ensuite retaper. Pas bégueule, le docteur se laisse facilement réécrire. C’est aussi un infatigable apporteur d’idées – jusqu’aux plus baroques. À Noël 2008, il a convaincu l’équipe de Charlie d’enregistrer un disque. Cabu a chanté avec son fils Mano Solo, l’économiste Bernard Maris a entonné un cantique en hommage au CAC 40, Wolinski une ode au postérieur des Cubaines. « Avec le CD, on a tout de même vendu 60.000 exemplaires », se rappelle Éric Portheault. Pelloux est aussi à l’initiative d’un numéro spécial consacré à Louis de Funès, d’un autre sur la gestation pour autrui (GPA). Il est allé jusqu’à proposer un « spécial fête des mères » avec vibromasseur en cadeau mais cette fois, les copains n’ont pas marché.

Il osait tout Pelloux, dorloté par Philippe Val, qu’il ne lâchait pas d’une semelle et qu’il appelait « papa ». Après son départ, en 2009, c’est Charb qu’il n’a plus quitté. « Patrick a besoin de beaucoup d’attention, qu’on lui dise dix fois par jour qu’on l’aime, confie Laurent Léger. Charb était son son pilier, son horizon de stabilité dans la rédaction. Il trouvait parfois Pelloux envahissant mais, au fond, il l’attendrissait. »

Ces deux-là se sont trouvés : des gamins de banlieue, viscéralement de gauche, en quête perpétuelle d’idéaux. Éternels ados, trop heureux de faire, à 40 ans passés, les 400 coups ensemble. Bonnes bouffes dans les restaurants étoilés (notamment chez leur ami Jean-François Piège), descentes dans les bars, valses de femmes, week-ends et vacances au grand air. « Un jour, je les ai vus débarquer ensemble en Corse dans le camping où je travaillais, raconte Sigolène Vinson, une ancienne avocate devenue romancière et pigiste à Charlie Hebdo. Patrick m’avait appelée quelque temps auparavant. Il avait lu mon livre et me proposait de tenir une chronique judiciaire à Charlie*. Charb et lui sont venus me rencontrer. Après, ils sont partis visiter la région. Patrick est revenu ; il dormait sans matelas sous une tente Quechua. »*

Josiane Balasko aussi a partagé des vacances avec les deux complices. Elle se les remémore, l’œil tendre, en avalant un café sur la terrasse de sa maison de Pigalle, un harmonieux fouillis de paix et de poésie. « C’est Pelloux que j’ai connu d’abord, en décembre 2006 à Cachan, pendant la grève des sans-papiers. On cherchait un toubib ; il est arrivé à moto, notre George Clooney à nous, beau gosse, brillant, toujours partant pour manifester pour tout : les immigrés, le droit au logement... » Depuis lors, il passe souvent voir la comédienne dans sa maison du Luberon. « Il y a quatre ans, il est venu avec Charb. Qu’est-ce qu’on s’est marrés ! » Pelloux était fier de ce pote communiste qui, avec sa plume alerte, croquait la vie, l’amour, les convenances... Tout était matière à déconner, même la mort : « Ce con, il disait qu’il ferait un magnifique squelette, raconte l’urgentiste. Il trouvait ça beau les squelettes. » Charb, le pudique, balançait ce genre de phrase puis il allait courir dans les montagnes en écoutant des musiques étranges, les chants de l’Armée rouge et du Hezbollah. Pelloux rêvait qu’ils achètent un duplex ensemble. En évoquant ces souvenirs, un matin de juillet, devant son thé vert, il inspire profondément – comme le lui a appris son professeur de yoga : « Avec Charb, c’était de l’amour, de l’authentique amour. Nous étions un binôme absolument complémentaire. »

Ce « frère », Patrick Pelloux l’a introduit auprès de tous ses copains en vue : Bénabar, Drucker, la maire de Paris Anne Hidalgo, Jean-Michel Ribes, le directeur du théâtre du Rond-Point, François Morel, la journaliste Valérie Expert, qui lui a aussitôt confié une chronique dans son émission sur LCI. Il l’a même fait jouer auprès de lui un rôle d’ambulancier dans un téléfilm de Gérard Mordillat, Les Cinq Parties du monde. « Pelloux peoplise Charb », s’agaçait-on parfois dans les couloirs de Charlie. Il y avait eu aussi quelques grincements au moment de sa fameuse chronique sur son « pote François » (qu’il voulait envoyer à l’AFP). Soucieux d’apporter un peu de distance, Charb a illustré le texte d’un Hollande demandant au téléphone : « Dis donc Patrick, tu voudrais pas devenir première dame, des fois ? » Et pourtant, personne n’a bronché quand Pelloux a obtenu, fin septembre 2014, un rendez-vous à l’Élysée pour discuter de l’avenir de Charlie. Il manquait 200.000 euros dans les caisses ; Hollande a écouté les doléances. Pelloux l’a quitté, le poing levé, en faisant le pitre pour l’inviter à débloquer des fonds : « Donnez, M. le président, donnez ! » Charb ne savait plus où se mettre.

La veille de l’attentat, les inséparables dînaient ensemble dans leur cantine sarde, L’Osteria Ruggera, près de la rue Montorgueil. « Ils mangeaient des pâtes aux langoustes avec une de leurs amies, se souvient Laurent Léger, qui les a croisés à ce moment-là. Ils avaient l’air heureux. » La soirée s’est terminée par un concert de fado yiddish, immortalisée par un selfie que Pelloux a gardé dans son portable. « On se faisait tellement chier », sourit-il en montrant la photo minuscule. Le lendemain matin, il s’est levé tôt, a fait un saut chez Balasko pour lui déposer une ordonnance, sans prendre un café comme à son habitude. Une réunion l’attendait à la Fédération nationale des sapeurs pompiers, située rue Bréguet, à deux pas des locaux de Charlie Hebdo. Il avait prévenu Charb qu’il ne pourrait pas assister à la conférence de rédaction, il viendrait après. Ses derniers mots, il s’en souvient encore : « Pas de problème, vas-y chouchou. À tout à l’heure. » Et puis, en pleine réunion, vers 11 h 30, le portable de Pelloux a sonné. Il est sorti, revenu en hurlant : « Ça tire à la Kalach partout à Charlie ! Je fonce. » Ses amis pompiers l’ont retenu pour qu’il n’y aille pas seul. Aujourd’hui, il dit en clignant des yeux comme s’il luttait contre des flashs intérieurs : « J’ai pris mon costume de toubib, j’ai dissocié mon cerveau, je suis formé pour ça. Dans cette salle de rédaction toute petite, il y avait des dizaines de cartouches par terre, qui avaient fait des trous comme des poings. J’ai repéré les vivants, les morts. J’ai constaté que je ne pouvais plus rien faire. » Sigolène Vinson, elle, l’a vu se pencher sur Charb : « Il a pris son pouls, lui a caressé les cheveux en murmurant “mon frère” ». Les secours ont enfilé autour du cou de Pelloux un badge blanc – celui qui, en médecine de catastrophe, signale les victimes. Il est sorti de l’immeuble soutenu par deux confrères. Le colonel Éric Faure, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, s’en souviendra toute sa vie. « Je n’ai jamais vu un visage aussi ravagé. » À son côté, un médecin a chuchoté : « C’est fini, Patrick est détruit. »

La famille Ben Laden

Pleurer, parler encore et encore, le docteur Pelloux s’est administré ce traitement pour ne pas sombrer. Il s’est épanché sur toutes les ondes, glissant à chaque journaliste qu’il croisait : « Charb t’aimait tellement », même si ce n’est pas vrai. Partout, il a lui rendu hommage. À Charlie, on l’a surnommé « la veuve Charb » puisqu’il prétendait porter seul sa mémoire. Alors quand, vingt-quatre heures après l’attentat, Jeannette Bougrab, l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, a confessé en sanglots sur BFM TV son amour pour le dessinateur, Pelloux est devenu fou.

Au lendemain de l’interview sacrilège, il se retrouve assis à côté d’elle sur le plateau du Grand Journal de Canal +. Colère noire. « Il était prêt à lui casser la gueule, se rappelle un témoin. Il disait qu’elle mentait. » À Charlie, pourtant, beaucoup connaissaient l’existence de Bougrab dans la vie de Charb. Leur idylle n’était pas un secret – Pelloux peut-il vraiment l’avoir ignorée ? Femme de réseaux, Jeannette Bougrab a présenté le directeur de Charlie à l’ex-patron d’Axa, Claude Bébéar, au PDG de Total, Christophe de Margerie, et à Pierre-René Lemas, le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, autant de mécènes potentiels. Charb s’amusait même d’avoir connu grâce à elle des membres de la famille Ben Laden. Pelloux savait, mais à présent, il élude : « Je préfère ne pas parler de cette dame ; tout ça était sordide », dit-il. Elle aussi se contente d’une phrase : « L’histoire a tranché, glisse-t-elle, fébrile, au téléphone. C’est lui l’icône, moi, la paria. » L’ancienne ministre, aujourd’hui exilée en Finlande, où elle dirige le service d’action culturelle de l’ambassade de France, est encore sous le choc. « Tais-toi maintenant, lui a intimé son rival, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris, alors que l’équipe de Charlie chantait L’Internationale. Charb n’aurait pas voulu qu’on étale sa vie privée. » Le lendemain, Jeannette Bougrab s’est rendue avec les parents du dessinateur, Michel et Denise Charbonnier, et une amie de la famille à l’Institut médico-légal de Paris. C’est elle qui a choisi les vêtements du défunt, treillis et pull marin Saint James, son éternel uniforme. Seule la main de Charb a été offerte aux regards pour un dernier recueillement, son visage n’était pas montrable. Avant de rentrer chez eux, à Pontoise, les époux Charbonnier ont fait un détour par Libération, qui abritait ce qu’il restait de la rédaction Charlie.« Venez rencontrer l’équipe », leur avait proposé Pelloux. Un proche de la famille raconte la suite : « Quand il a appris que Jeannette Bougrab avait été à la morgue et qu’elle proposait ses conseils pour prendre un nouvel avocat, Pelloux s’est mis en rage. Il a dit aux parents de Charb que leur fils avait une autre compagne, avec qui il avait passé sa dernière nuit. Il leur a dit qu’il la connaissait, qu’il avait été avec elle chez Charb le lendemain de l’attentat et que des livres, des objets avaient disparu, que c’était sûrement Jeannette [Pelloux a dit la même chose dans une déclaration à la police, recueillie fin janvier]. Il les a poussés à faire un communiqué pour nier toute son histoire. » Après le choc de l’attentat, déferlaient ainsi les détails d’une intimité, celle d’un fils, qui auraient dû rester secrets. Les parents dévastés ont, du bout des lèvres, donné leur accord pour qu’un message soit adressé à l’AFP afin de démentir « formellement l’engagement relationnel de Charb avec Jeannette Bougrab ».

Plus tard, ils ont regretté ce communiqué – Denise Charbonnier a présenté des excuses à Jeannette Bougrab, avant d’assister aux obsèques de sa mère près de Châteauroux puis de l’accompagner, mi-juillet, sur la tombe du dessinateur. Les parents meurtris ont pris leurs distances avec Pelloux, ce drôle de médecin qui leur a proposé si vite de venir dîner chez eux un mardi sur deux, comme le faisait Charb. Juste après le drame, Pelloux avait toute leur confiance. C’est lui qui a pris en main l’enterrement de Charb, lui qui a ordonné les discours, fait venir un orchestre et demandé au leader des Têtes Raides, Christian Olivier, de l’accompagner sur scène. « Aux obsèques de Tignous [un autre des dessinateurs morts sous les balles des frères Kouachi], la musique de son accordéon m’avait aidé à tenir, explique-t-il. Je lui ai demandé de revenir. » D’un tiroir, il sort le film de la cérémonie, enregistré sur un DVD. « Gardez-le, j’en ai plusieurs. » On y entend Pelloux exposer sa douleur et son ego d’enfant : « Mon Charb, mon ami. À la canicule, c’étaient les plus de 85 ans qui m’aimaient. Grâce à toi, j’ai rajeuni les gens qui m’aiment. » Après les funérailles, les parents de Charb ont refusé que Pelloux fasse dans les médias la promotion du dernier livre de leur fils, écrit avant sa mort.

Dans le Falcon présidentiel

Dehors le ciel se charge de nuages noirs, les chattes tournent en rond. Pelloux les prend sur ses genoux. On lui demande : « Regrettez-vous d’en avoir tant fait ? De vous être tant montré ? » Il rugit : « L’indécence, c’est le terrorisme. L’indécence aurait été de ne pas parler. Il fallait témoigner pour ne pas laisser le terrain à l’extrême droite, pour la mémoire des copains partis. Il fallait montrer du cercueil, montrer la mort. » Tant d’amis ont essayé de le mettre en garde. « Préserve-toi un peu, mets-toi au vert », lui a répété le psychiatre Philippe Nuss. Rien à faire. « Il est comme un prisonnier de guerre qui retourne trop vite au front. »

Vingt-quatre heures après l’attentat, Patrick Pelloux lançait l’idée de transformer Charlie en coopérative, pour que le capital soit partagé entre les salariés. C’était le 8 janvier, vers 16 heures. L’avocat du journal, Richard Malka, accueillait toute l’équipe dans son appartement sur les quais de la Seine. Les larmes coulaient sur les visages, il faisait froid, on s’étreignait en silence, sous le regard des agents du Raid postés sur les toits avoisinants. « J’étais ébahi, se rappelle Gérard Biard, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire. On était tous en pleurs et lui pensait déjà à changer la structure de l’entreprise. » Quelques semaines plus tard, Pelloux adressait un questionnaire détaillé à tous les membres de la rédaction. Il portait sur l’évolution à mettre en marche, la charte graphique, la maquette, le choix du prochain local, le suivi psychologique. « Il nous disait sans arrêt : “Vous allez mal, hein ? Et même ceux qui vont bien, vous allez voir, vous allez vous effondrer”, se souvient Éric Portheault. Il prescrivait des somnifères et des antidépresseurs à ceux qui voulaient, j’étais gêné par ce mélange des genres. » Au même moment, Pelloux prend la tête d’une fronde contre la direction, sans même attendre que le nouveau directeur, Riss, gravement blessé à l’épaule, sorte de l’hôpital. C’est chez lui, généralement le dimanche, que se tiennent les réunions. On dénonce l’opacité de la gestion des 30 millions d’euros supposément amassés après l’attentat, on s’inquiète de rumeurs sur un projet de fondation, on critique la désignation de Riss, l’influence de Richard Malka, son choix de faire appel à Anne Hommel, communicante de DSK et de Jérôme Cahuzac, pour veiller à l’image du journal. Pelloux recueille les idées et les peurs, suggère l’idée d’une tribune. Il rédige la première mouture puis passe le relais à Laurent Léger qui fait tourner le texte. Le Monde le publie le 21 mars sous la signature d’une quinzaine de journalistes : « Nous refusons que le journal, devenu une proie tentante, fasse l’objet de manipulations politiques et / ou financières, nous refusons qu’une poignée d’individus en prenne le contrôle, total ou partiel, dans le mépris absolu de ceux qui le fabriquent et de ceux qui le soutiennent. Surtout, nous refusons que ceux qui ont dit et écrit : “Je suis Charlie”, se réveillent demain avec la gueule de bois. » Riss découvre ce réquisitoire dans sa chambre d’hôpital.

Quand il revient au journal, c’est la guerre. Deux camps s’affrontent : d’un côté, la direction et une partie de la rédaction, de l’autre, les signataires de la tribune qui ont recruté leurs propres avocats. Dialogue de sourds, au point qu’un médiateur est nommé par le ministère de la culture pour tenter d’apaiser les tensions. Tout est matière à prises de bec, y compris la participation au projet du réalisateur Daniel Leconte, qui voulait faire la suite de son documentaire C’est dur d’être aimé par des cons, tourné en 2008 durant le procès des caricatures de Mahomet.

Le souvenir d'une fête avec Charb (coiffé d'une casquette de l'Armée rouge). (Archive personnelle.)

Leconte s’est présenté devant la rédaction fin février. « Je leur ai dit que j’avais plein de rushes, que je voulais faire parler Cabu, Tignous, Charb, Honoré comme s’ils n’étaient pas morts et recueillir le témoignage des survivants », explique le réalisateur. Il a promis que les recettes iraient aux victimes des attentats, que le film avait de bonnes chances de décrocher la sélection officielle à Cannes – le délégué général du festival, Thierry Frémeaux lui avait donné quelques signes très encourageants. Pelloux a accepté de participer avant d’envoyer ce SMS : « Je ne ferai pas cet entretien finalement car ces cons de la direction m’interdisent de le faire ! » C’était faux et Daniel Leconte n’a jamais compris ce revirement, ni pourquoi son film (qui sortira en décembre), n’a pas été sélectionné à Cannes. « Cette rédaction, à l’époque, c’était un chaudron » se désole-t-il. Pelloux n’a cessé de souffler sur les braises en laissant entendre que des choses pas nettes se passaient, que le journal était nul, que Riss n’avait pas la carrure, que Philippe Val, l’ancien directeur (avec qui il est désormais brouillé) pourrait revenir, rentrer au capital et empocher des millions.

S’est-il rêvé lui-même en patron de Charlie ? « Jamais », jure-t-il dans un grand rire forcé. Pourtant, nombreux sont ceux qui lui prêtent cette ambition, à force de le voir incarner l’hebdomadaire, devenir sa voix et son visage. C’est Pelloux qui s’est envolé avec Anne Hidalgo à Copenhague, le 14 février, après l’attaque d’un centre culturel. « Je suis venu manifester ma solidarité au peuple danois », a-t-il déclaré à la descente de l’avion. C’est lui qui a aussi gagné la Tunisie en Falcon présidentiel après l’attentat au musée du Bardo. Il s’était alors fait teindre les cheveux en blond platine par une amie coiffeuse. Il disait vouloir changer d’identité, échapper aux regards, qu’on ne lui parle plus des frères Kouachi. Mais il était là quand même, sous les projecteurs. « On le sentait fragile, se souvient le réalisateur Serge Moati, également à bord. Il était ému, dans une ville émue. » À côté, aux petits soins, Bertrand Delanoë, Frédéric Mitterrand et le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui lui a proposé de figurer sur la liste du PS aux prochaines élections régionales en Île-de-France. « On m’a offert à peu près tous les postes dans tous les partis de gauche, soupire-t-il. J’ai toujours refusé. Un jour peut-être, pas maintenant. » Il s’est tout de même glissé quelques semaines plus tard dans l’avion présidentiel, cette fois en route vers Cuba. « Aux obsèques de Bernard Maris, Patrick m’a dit que ce pays l’intéressait beaucoup en raison de sa politique sanitaire, confie Jean-Pierre Bel, l’ancien président du Sénat, organisateur du voyage à La Havane. J’en ai parlé au chef de l’État qui a trouvé ça très bien que Patrick nous accompagne. » Pelloux s’est envolé en compagnie de sa ministre de la santé préférée, Marisol Touraine, et de l’académicien Dany Laferrière. Et, une fois de plus, l’équipe de Charlie a découvert à la télévision la présence de son ambassadeur autoproclamé.

Un dimanche de juillet, avant de renoncer à sa chronique d’adieu, Pelloux a rejoint Riss sur la terrasse de Libé. Le directeur de Charlie Hebdo préparait la rentrée, le déménagement dans de nouveaux locaux blindés dans le XIIIe arrondissement, l’élaboration d’une nouvelle formule, la recherche de jeunes dessinateurs pour tenter de régénérer le journal et maintenir les ventes. Depuis qu’il vit avec sept policiers collés à ses basques et une fatwa sur sa tête, Riss va à l’essentiel. Il ne veut pas s’embarrasser des vieilles querelles. Pour autant, il n’a pas supplié Pelloux de rester. « Je lui ai simplement dit : “fais comme bon te semble, c’est toi qui décides.” On ne force pas quelqu’un à rester. Et puis c’est bien aussi de se renouveler », explique d’une voix étonnamment douce et détendue le directeur de Charlie. Devant ce solide miraculé au regard clair, Pelloux a bafouillé : « Bon, on continue comme ça alors... » À peine a-t-il eu le temps de lui parler du bureau de Charb, qu’il aimerait récupérer. Pelloux a aperçu le meuble en retournant sur les lieux du massacre, après la levée des scellés. Au milieu du chaos, il a retrouvé ses affaires et une carte de vœux de Jean-Michel Ribes qui lui souhaitait, pour 2015, de « voler au-dessus des nuages ».

Les jours suivants, il n’a pas trouvé le sommeil. Michel Drucker, « Mimi » comme il l’appelle, l’a invité à se changer les idées chez lui, dans les Alpilles. « Patrick aussi a besoin d’être soigné », confie l’animateur. Il lui a concocté un « programme réparateur » : vélo dès l’aube, natation, nourritures saines, siestes. L’après-midi, quand il n’était pas au chevet de Jean Reno (l’acteur, en villégiature dans le coin, s’inquiétait d’une mauvaise toux), Pelloux s’est attelé à la suite de son best-seller sur les agonies célèbres, On ne meurt qu’une fois et c’est pour si longtemps, qui a conquis plus de 100.000 lecteurs. Les éditions Robert Laffont attendent le manuscrit avec impatience. « J’avais commencé le premier tome par la mort de Jésus », rappelle Patrick Pelloux. Et il murmure, sourire taquin : « Je vais donc démarrer le deuxième par la mort de Mahomet. »

Cet article est paru dans le numéro d'octobre 2015 de Vanity Fair France.

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