portrait

Paix-réalité

Mohamed Ulad. Réalisateur et producteur, le compagnon de Mazarine monte un projet télé intrigant : réunir douze jeunes d’Israël et de Palestine pour signer des accords de paix.
par Luc Le Vaillant
publié le 28 janvier 2009 à 6h52
(mis à jour le 28 janvier 2009 à 6h52)

Disons les choses comme elles sont. Si Mohamed Ulad n'avait été que le père des enfants de Mazarine Pingeot, on n'en aurait pas fait le portrait. Mais, s'il n'avait été qu'un producteur de films et de documentaires qui ambitionne d'enfermer un mois durant, façon Loft, douze jeunes, six Palestiniens et six Israéliens, à charge pour eux de signer des accords de paix, pas sûr qu'on se serait déclenché si facilement, aussi stimulant soit son projet. De la perversité de l'attraction-répulsion générée par la notoriété par alliance.

C'était début janvier. Les bombardements battaient leur plein. Et grandissait en douce une envie inavouable : que la mer monte et emporte tout ça, Hamas et Tsahal mêlés, pour qu'on en finisse enfin avec cet insoluble conflit. Et que, surtout, Noé se dispense de bâtir son arche et de recueillir ces couples de survivants nommés nation-religion, qui, après le déluge, recommenceraient sans tarder à s'arracher les yeux.

Et puis, on a eu vent de l'idée de ce Français d'origine marocaine. On a levé un sourcil perplexe, puis on s'est dit : «Au point où on en est, sait-on jamais.»

Ils auront 18 ans. Garçons et filles, tous milieux sociaux confondus, laïcs et religieux. Ils seront enfermés dans un mas provençal, à l'ombre des oliviers. Et devront parvenir à des propositions précises, à jeter à la face de leurs gouvernants. Ils seront briefés par des coachs, afin d'empoigner la réalité et d'éviter de tartiner du bon sentiment. Sinon, ils cohabiteront, partageront repas et loisirs, joueront au foot à la fraîche et, à la veillée, monteront un Roméo et Juliette.

Surtout pas du genre agressif, Mohamed Ulad se cabre quand on lui dit que, pour la bonne cause, il recourt aux recettes de la télé-réalité. Il dit : «C'est l'inverse. Dans la télé-réalité, le casting crée un conflit artificiel entre les protagonistes. Là, le conflit existe. Et il s'agit d'aller vers une réconciliation.» Pas de direct, mais une série documentaire de dix épisodes de vingt-six minutes. Donc, plutôt Arte que TF1. Pas d'élimination des candidats : «On ne va pas taper 1 pour Moshe, et taper 2 pour Samir.» Pas d'intrusion dans l'intimité des participants : «On ne les verra pas dormir. On les suivra quand ils feront leurs courses, quand ils s'occuperont du potager ou quand ils s'installeront à la cuisine.» Et, pas de happy end obligé : «Si ça n'aboutit pas, si les accords ne sont pas signés, ce sera un indicateur du mauvais état des lieux.»

Mohamed Ulad n'est pas un monomaniaque du désastre proche-oriental. Il a pu s'intéresser aux sportifs iraniens, aux hôpitaux psychiatriques comme aux candidats PS, ces deux derniers thèmes n'étant pas corrélés. Sophie Nordmann, philosophe et amie de Mazarine, travaille avec lui sur le projet à venir. Cette Franco-Israélienne confirme l'absence de formatage partisan d'Ulad et pointe son esprit curieux, son âme vagabonde. Une journaliste qui a travaillé avec lui précise : «C'est un faux dilettante. Derrière l'humour british, se cache quelqu'un de méticuleux, de tatillon, de persévérant.»

Sérieux cinq minutes, ce fils d'un technicien des PTT, aîné de huit enfants, trouve de vagues correspondances sociohistoriques, justifiant son implication dans le problème juif-arabe. Longue tradition diplomatique au Maroc, importante communauté juive. Mais vite, mêlant art du récit, sens du «pitch» et autodérision, cet enfant d'un «musulman hyperpratiquant mais non prosélyte», devenu un athée républicain, éclaire de trois historiettes son rapport à la judaïté. 1) Il arrive à Paris, où un protecteur ashkénaze l'aide dans son envie de cinéma. La première petite amie qu'il ramène à Tanger est juive. La famille se scandalise. Quand ils se séparent, la famille se désole. Volée de revers : «Vous avez oublié que vous lui reprochiez d'être juive ?» 2) Il est à New York. Il fait des études, du cinéma, et du couscous. Ses nombreux copains juifs lui inventent une nouvelle identité. Mohamed devient «Mo». Ulad se transforme en «Uladstein» ou en «Uladovitch». Et lui, vanneur sans peur et reprocheur, de les culpabiliser d'un : «Donc, pour vous, si on est arabe et ouvert, on ne peut qu'être un peu juif ?» 3) Il achète un ancien atelier dans le quartier Oberkampf (XIe arrondissement de Paris). Il prévoit de l'aménager façon loft, pour s'y installer avec Mazarine et leurs deux bambins. L'ancien propriétaire était juif. Il prend possession des lieux quand une bande de petites frappes beurs le branche, le défie et le bastonne. Ils le traitent de «sale juif» comme si la vente ne pouvait être que communautaire. Il se garde bien de démentir, fait le coup de poing à dix contre un, et ne se gêne pas pour porter plainte pour. antisémitisme. Une amie du musée du Quai-Branly confirme ce côté décomplexé : «Il est à l'aise avec ses origines. Il n'en fait ni un étendard, ni une excuse, ni un combat.»

Ce Berbère aux traits aigus, à la maigreur flottante, à la malice complice, appartient à une génération arabisée. Adolescent, il hante les bibliothèques, lit un livre par jour, Don Quichotte, les Frères Karamazov. Publie des poèmes dans les journaux. Découvre le cinéma, Rio Bravo, Taxi Driver, Close-Up de Kiarostami. Décide que sa vie, ce sera ça. Et, partant de très, très loin, il va y parvenir avec ce qui semble être une facilité renversante. Diplômé de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), prix du jeune producteur de la fondation Lagardère, lauréat du top 50 des «jeunes à suivre» du magazine Variety. Et, surtout, production de quatre longs métrages, réalisation de quatre documentaires et courts métrages, production de trente docs et courts. Dans ce parcours d'excellence, il séjourne à la villa Médicis. Où, oui, oui, on y vient enfin, il croise la fille du président socialiste.

Il dit : «A Rome, on était en territoire neutre.» Il minimise : «C'est une histoire d'amour comme tout le monde en vit.» Il reconnaît avoir «toujours été de gauche», même si pas très militant. Et ajoute avoir «toujours eu une sympathie importante pour Mitterrand» sous lequel il devint français. Et, comme il ne peut s'empêcher d'injecter de la fantaisie dans ses récits, il évoque leurs débuts de couple pacsé. Au réveil, encore comateux, l'angoisse du sans-papiers qu'il avait failli être le reprenait. «Elle ressemblait tellement à son père qu'en rêve je me surprenais à devoir me justifier envers l'autorité, façon : "Mais, si, je vous assure, madame le président, j'ai bien ma carte de séjour."» Et une copine de commenter : «On rit beaucoup avec lui. Il est resté assez enfantin.»

Comme souvent les hommes qui n'y songeaient pas spécialement, sa paternité le surprend. Il dit : «C'est une découverte.» Il ajoute : «Je ne m'interdis pas l'autorité. Mais jamais de coups, de punitions, comme j'ai pu en subir moi.» Son aîné rentre de la maternelle. Et le père pas sévère d'évoquer l'un de ses mots d'enfant, apocryphe ou non, enluminé ou pas : «Les papys sont morts. Papy Ahmed, il réparait les téléphones. Papy François, il réparait la France.» «Quand Sarkozy la détruit !» scandent en écho les générations précédentes charmées de cette intrusion précoce dans le débat politique.

Mohamed Ulad, lui, envisage tout simplement de «réparer» le Proche-Orient. Rien de moins.

photo BRUNO CHAROY

Mohamed Ulad en 7 dates

5 octobre 1966 Naissance à Tanger.

1993 Un Américain à Tanger, premier court métrage, réalisation et production.

2001 Séjour à Rome à la villa Médicis, rencontre avec Mazarine Pingeot.

11 juillet 2005 Naissance de son fils, Astor.

2006 Candidats, doc sur le PS, réalisation et production.

5 octobre 2007 Naissance de sa fille, Tara.

Juillet 2009 Hypothétique tournage des Accords de Saint-Saturnin.

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