Portrait

Olivier Schrameck, 47 ans. Directeur de cabinet du Premier ministre, il cultive avec Jospin devoir, vertu et vraie-fausse modestie. Juste une question d'équilibre.

par Odile BENYAHIA-KOUIDER
publié le 24 novembre 1998 à 15h00

Son empire sur lui-même est impressionnant. Il n'est pas coincé, il

est contrôlé. Réflexif plus qu'impulsif. Sa distance n'est pas glaciale. Il rit même parfois. Tapis derrière des lunettes d'intello, il filtre tout ce qui arrive sur le bureau du Premier ministre, assiste à tous ses entretiens avec les ministres, et recueille ses confidences sur l'état de ses relations avec Chirac. Directeur de cabinet du Premier ministre depuis dix-sept mois, Olivier Schrameck est l'un des hommes les plus puissants de l'Etat. Mais il ne veut «surtout pas apparaître comme une vedette». Le ténor du gouvernement, c'est Lionel Jospin. Le dir'cab', lui, doit savoir s'effacer . Au risque d'être qualifié d'éminence très grise. Car Schrameck se positionne en anti-Attali: «Jamais je ne publierai de Verbatim, assure-t-il, horrifié. Ce serait un dévoiement.»

A Matignon, on le dépeint volontiers comme un «équilibreur», seul instrument aéronautique capable de maintenir le cap. «C'est une véritable horlogerie suisse. Avec lui, le Premier ministre peut dormir sur ses deux oreilles», estime une proche de Jospin. Rigoureux et précis, aussi mesuré et rond que Jospin peut se montrer véhément et brutal. Les superlatifs ne manquent pas. Qui s'aviserait d'ailleurs de dénigrer celui auquel Lionel Jospin accorde une confiance aussi totale? En dix-sept mois, pas une gaffe, pas une dispute, un véritable ennui pour les gazettes. Son affection pour le Premier ministre est désarmante. «Je n'aurai jamais accepté de servir d'auxiliaire à une ambition de second ordre, lance Olivier Schrameck avec des accents très IIIe République. Lorsqu'il était ministre de l'Education nationale, j'ai reconnu en lui les qualités d'un homme d'Etat. Une lucidité très rationalisée, le courage de celui qui affronte les événements et un profond sens de la justice et de l'équité.» Pourtant, quand tout le monde se tutoie au cabinet, eux se vouvoient. Par respect. Et par habileté. Il est trop intelligent pour claironner son influence. C'est pourtant lui qui a notamment convaincu Lionel Jospin de recevoir une délégation des associations de chômeurs, contre l'avis de Martine Aubry.

Au fil du temps, Olivier Schrameck est devenu aussi indispensable à Lionel Jospin qu'une vertueuse épouse dont toute l'ambition est de favoriser la carrière de son mari. La première rencontre eut lieu en 1988, par l'entremise de Jean-Pierre Chevènement, le lendemain de la nomination de Jospin au ministère de l'Education nationale. Séduit par son peu d'appétence pour la courtisanerie, Jospin en fait son directeur de cabinet. En habile juriste, la nouvelle recrue sort son ministre de l'impasse en demandant au Conseil d'Etat de donner son avis sur le port du foulard islamique à l'école. Une façon de gagner du temps et de ne pas se mouiller.

Pendant ces années, Olivier Schrameck a aussi dû apprendre à surmonter ses différends avec Claude Allègre, l'encombrant ami des années étudiantes de Jospin, hissé au rang de conseiller spécial. Rivés à Lionel, Olivier et Claude seraient, à leurs dires, devenus les meilleurs amis du monde. Le trio de choc a même établi le casting du gouvernement en juin 1997. «C'est un bon gardien de but», affirme Allègre, qui semble ignorer que son ami Olivier ne s'intéresse pas du tout au football. «Il domine Matignon de la tête et des épaules», poursuit le ministre de l'Education qui aurait certainement aimé être plus présent à Matignon. «Le Premier ministre a veillé à ce que Claude Allègre ne joue pas le rôle de conseiller occulte, explique Olivier Schrameck. Il n'est donc pas un visiteur du soir.» Une catégorie nocturne très en vogue au début de l'ère mitterrandienne.

Auréolé de sa légitimité de dir'cab', Olivier Schrameck tient à ses prérogatives de grand ordonnateur du gouvernement. Le temps où on lui reprochait d'être un simple technocrate est révolu. Désormais, il fait de la politique. Certes, il n'a jamais milité au PS. En mai 1968, il n'est pas «conquis par l'ultragauchisme très artificiel des jeunes nantis». Issu de la grande bourgeoisie, il se passionne pour le droit, une «discipline qui parvient à concilier l'évolution de la société et les valeurs qu'elles portent». L'un de ses frères est inspecteur des Finances. L'ENA s'impose. Il n'a jamais voulu tenter le concours d'agrégation de droit public, même s'il a aimé être professeur associé à Paris-I: «Je ne me voyais pas passer ma vie à gloser sur la jurisprudence des autres.» Etre le détenteur de la parole juridique officielle au Conseil d'Etat, puis au Conseil constitutionnel était certainement plus excitant.

Ceux qui connaissent son amour et de la littérature (Gide et Gracq en tête) le rêvent en «petit frère de Blum». Mais lui se sent plus proche de «l'authenticité» et de «la rigueur morale» d'un Mendès France qu'il a côtoyé grâce à son beau-père Jean de Largentaye, traducteur de Keynes en France. Cette vertu austère en impose à sa propre famille. «Il ne cherche pas à profiter de ses positions, ne se déplace pas en limousine, et paye ses contraventions», souligne son frère Etienne, chirurgien, admiratif du petit dernier de la famille, de douze ans son cadet.

Olivier est l'enfant d'un double miracle. A sa naissance, en 1951, sa mère a 42 ans. Elle l'a longtemps voulu. Déportée en février 1944, Stéphanie Schrameck est l'une des rares rescapées d'Auschwitz. Ce nouvel enfant est sa revanche sur l'histoire. Olivier est le quatrième de la fratrie, haut fonctionnaire comme son frère Denis.Les deux aînés sont médecins. «A travers ce que ma mère a vécu et ce qu'elle a voulu reconstruire, j'ai des devoirs particuliers, admet Olivier Schrameck. Ma mère (aujourd'hui âgée de 91 ans) m'a donné une énergie vitale et le sens de la fragilité des choses.» Son père, ancien avocat, lui a transmis le goût de la politique. Le sujet émoustille encore le vénérable Jean Schrameck, âgé de 99 ans, qui «a toujours regretté de ne pas avoir embrassé une grande carrière administrative». Le grand-oncle d'Olivier, Abraham Schrameck, ministre de l'Intérieur du Cartel des gauches, conspué par Maurras dans son infâme «lettre à Schrameck», est l'une des autres grandes figures familiales.

Avec un tel héritage, Olivier ne pouvait guère échapper à son destin. «Notre devoir, estime Olivier Schrameck, est de contrecarrer le mouvement naturel qui consiste à sécréter toujours plus d'inégalité.» Un beau programme. Pour garder toute «sa fraîcheur intellectuelle», Olivier Schrameck se dit prêt à retourner dans son corps d'origine où on lui prédit un avenir aussi radieux que celui d'un Marceau Long, vice-président du Conseil d'Etat. Mais si Jospin devient président de la République, on le voit bien secrétaire général de l'Elysée. Voire ministre comme son grand oncle. «On ne peut jamais dire jamais, concède Olivier Schrameck. Un parcours peut subir des inflexions inattendues.» Il lui manque sans doute la légitimité du suffrage universel, mais d'autres grands commis de l'Etat s'en sont passé. Et puis, si Jospin le lui demande, il ne pourra pas refuser. La modestie n'exclut pas l'ambition.

Olivier Schrameck en neuf dates. 27 février 1951. Naissance à Paris.

1975-1982. ENA, promotion André-Malraux. 1980. Epouse Hélène de Largentaye. 1982-1984. Conseiller technique puis chargé de mission au cabinet de Gaston Defferre, ministre de l'Intérieur.

1984-1985. Directeur de cabinet de Roger-Gérard Schwartzenberg, secrétaire d'Etat chargé des Universités.

1988-1991. Directeur de cabinet de Lionel Jospin, ministre de l'Education nationale.

1991-1993. Rapporteur du Haut Conseil de l'intégration, présidé par Marceau Long.

1993-1997. Secrétaire général du Conseil constitutionnel sous les présidences de Robert Badinter et de Roland Dumas. Depuis juin 1997. Directeur de cabinet de Lionel Jospin.

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