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Libération

Le X, versant obscur du patron de Free

Outre les nouvelles technologies, Xavier Niel exploite des peep-shows. Il comparaît pour abus de biens sociaux.
par Renaud Lecadre
publié le 14 septembre 2006 à 23h17

Xavier Niel, 39 ans, fondateur du groupe Iliad, qui comprend le fournisseur d'accès à l'Internet Free, l'annuaire téléphonique inversé Annu et la banque de données Société. com, est le petit prince des nouvelles technologies. Mais il n'y a pas que l'ADSL dans la vie. Depuis une vingtaine d'années, il cultive en parallèle un jardin secret : exploitation de peep- shows et sex-shops, sites pornos, vente par correspondance de sex-toys... Cela lui vaut de comparaître aujourd'hui en correctionnelle pour abus de biens sociaux, après avoir échappé aux poursuites pour proxénétisme. Lui qui revendiquait le droit au respect de sa «vie économique» privée, va devoir assumer publiquement. Il semble désormais prêt à le faire.

Main à la main. Aux enquêteurs, Xavier Niel a exposé sa vision de l'industrie du sexe, carburant au black : «Retour sur investissement intéressant et non fiscalisé», «argent facile». Sans fausse pudeur, il leur a confessé : «Ces espèces utilisables instantanément ne donnent pas la même sensation de gain que l'argent que je gagne de façon orthodoxe comme opérateur de télécommunications.» D'autant que Xavier Niel a de gros besoins en liquide. En 2001, son partenaire historique dans Iliad, Fernand Develter, lui avait vendu une partie de ses actions. Le prix de cession étant discutable, ils auraient convenu d'un complément de la main à la main : 9 100 euros mensuels, sur une durée de... trente ans.

Niel et Develter se sont rencontrés au milieu des années 80 au café le Petit ramoneur, QG des employés de sex-shops de la rue Saint-Denis, à Paris. Le second, ancien fondé de pouvoir à la Société générale, prend sous son aile le jeune premier tout juste sorti de maths sup, «brillant mais désargenté». Ensemble, ils prospèrent dans le Minitel rose, puis investissent 500 000 euros dans une dizaine de peep- shows parisiens. L'un de ces établissements, le New Sex Paradise, leur vaut une sueur froide en 2001 : deux de leurs associés, gérants effectifs de cet Eros center, sont poursuivis pour proxénétisme (ils seront condamnés en 2003 à deux ans de prison avec sursis, Xavier Niel étant entendu comme simple témoin), il faut les éloigner au plus vite. Leur chèque de sortie du capital, 7 300 modestes euros, est complété par un dessous de table de 200 000. Xavier Niel admet s'être remboursé à la bonne franquette, en prélevant 15 000 euros par mois sur les recettes non déclarées du New Sexe Paradise.

A Strasbourg, l'alerte est encore plus chaude puisque l'enquête pour proxénétisme vise nommément Niel et Develter. Leur établissement alsacien, sous l'enseigne Sex-Shop X Live Peep-Show, emploie une quinzaine de jeunes femmes comme «artistes visuelles». Mais en cabine, on ne touche pas qu'avec les yeux. Le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, spécialiste des affaires financières, détaille dans son ordonnance de renvoi la «variété des contacts physiques» avec le même détachement que pour les transactions off-shore : «Caresses par le client sur les seins et les fesses des danseuses, intromission de godemichés ou de vibromasseurs dans le sexe et/ou l'anus des danseuses par le client, intromission par les danseuses de ces mêmes ustensiles dans l'anus de certains clients.» Les gestionnaires locaux sont renvoyés en correctionnelle pour proxénétisme, après avoir admis la réalité de ces prestations excédant le simple show. Xavier Niel et Fernand Develter, qui avaient investi 200 000 euros sans se mêler de la gestion, étaient-ils au courant ? Le juge Van Ruymbeke accorde au premier un non-lieu «au bénéfice du doute», Niel ne s'étant jamais rendu sur place. Le second est renvoyé pour proxénétisme car, lors d'une tournée d'inspection anonyme, Develter avait demandé à une des artistes de lui faire une fellation : pour s'assurer du respect des bonnes pratiques, jure-t-il aux enquêteurs, «grandement satisfait» que son employée ait refusé ; parce que «ces pratiques devaient être habituelles pour lui», interprète au contraire l'intéressée.

Lettre anonyme. Xavier Niel ne se voit plus reprocher que des prélèvements en espèces, portant sur plusieurs centaines de milliers d'euros. La montagne a accouché d'une souris : en 2002, une lettre anonyme dénonçait ­ excusez du peu ­ un vaste blanchiment, Iliad étant accusée de recycler l'argent du proxénétisme et de la pédophilie... Tracfin (l'organisme anti- blanchiment) y allait aussi de sa dénonciation ­ officielle ­ au parquet. A l'arrivée, une minable affaire d'enveloppes. Niel reconnaît les faits, admet les «risques» inhérents à l'industrie du sexe, mais dit ne pas pouvoir tout contrôler. Ce n'est que le «résidu de ce qu'il faisait il y a une quinzaine d'années», plaide son avocate, Me Catherine Toby. A la fin des années 90, Xavier Niel envisageait en effet de se retirer du sexe : candidat à la reprise du Palace (une boite de nuit parisienne), son pedigree de «roi du porno» avait été brandi pour lui barrer la route. Mauvais genre, car au même moment, la banque d'affaires Goldman Sachs envisageait d'entrer au capital d'Iliad. Depuis, sa soeur Véronique porte parfois des parts en son nom. L'accusation la qualifie de «faux nez». En 2004, Xavier lui offre un Land Cruiser Toyota tout neuf. «Contrepartie de sa passivité arrangeante», estime le juge Van Ruymbeke. Comme si un milliardaire n'avait pas le droit d'offrir un cadeau de 45 000 euros à sa soeur.

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