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Non, il n’y a aucune « preuve » de tortures au Bataclan

Partie de l’extrême droite française, une rumeur faisant état de tortures sur les otages du Bataclan le 13 novembre a fait le tour du monde. Elle est pourtant démentie.

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Publié le 18 juillet 2016 à 14h08, modifié le 19 juillet 2016 à 18h55

Temps de Lecture 6 min.

Le mémorial spontané dressé devant le Bataclan, à Paris le 16 novembre 2015.

[Attention, les détails et récits de cet article, même s’ils ne constituent que des rumeurs, peuvent choquer]

« Tortures effroyables », « énucléations », « castration », « coups aux organes génitaux », « éviscérations »… Du Britannique Daily Mail à l’Américain Washington Times, en passant par Russia Today, plusieurs médias internationaux ont relayé depuis quelques jours ces rumeurs, reprises en France par Valeurs actuelles.

Ces allégations émanent de quelques conspirationnistes français, et évoquent des actes de torture infligés aux otages du Bataclan le soir du 13 novembre 2015, qui auraient été cachés par le gouvernement.

D’où vient la rumeur ?

Deux sites français sont à l’origine de ces rumeurs : le premier est Panamza, point de rendez-vous des conspirationnistes de tout poil, qui a publié un article à ce sujet le 13 juillet. Le second est BreizAtao, blog ultranationaliste breton tenu par Boris Le Lay, condamné en France pour antisémitisme. Ils ont, depuis, été relayés par une large part de la galaxie des sites d’extrême droite.

Tous deux s’appuient sur la publication, le 5 juillet, du rapport de la commission d’enquête relative aux moyens de l’Etat pour lutter contre le terrorisme, dirigée par Georges Fenech. Parmi les centaines d’auditions de témoins auxquelles a procédé cette commission figurent deux témoignages qui servent de base aux récits des conspirationnistes : un policier et un parent de victime.

Leurs posts ont ensuite été repris par une journaliste du site britannique Heatstreet, Louise Mensch, qui a publié un article en un temps record. Son histoire a permis de « blanchir » ce qui n’était jusque là que quelques billets sur des blogs d’extrême-droite, lui donnant un aspect suffisemment journalistique pour qu’il soit repris ensuite par plusieurs tabloïds.

Pourquoi est-elle infondée ?

  • Un témoignage d’un policier… qui n’a rien vu lui-même

Commençons par le policier, un brigadier-chef qu’on ne connaît que par ses initiales, M. T. P. Il se trouvait hors du Bataclan et évoque la chronologie des faits. C’est lui qui évoque une première fois « des personnes décapitées, égorgées, éviscérées. Il y a eu des mimiques d’actes sexuels sur des femmes et des coups de couteau au niveau des appareils génitaux. Si je ne me trompe pas, les yeux de certaines personnes ont été arrachés ».

Il donne ces détails sordides alors qu’il décrit la soirée et le fait qu’il ait essuyé des tirs, vers 21 h 57. Il estime qu’un seul terroriste lui a tiré dessus, l’autre étant alors en train de commettre des tortures au deuxième étage. Ce qui signifierait, dans la chronologie qu’il évoque, que ces actes auraient été commis en l’espace de quelques dizaines de minutes entre l’explosion d’un des terroristes au rez-de-chaussée et l’assaut par la police, à un moment où les terroristes avaient sans doute d’autres préoccupations.

Surtout, interrogé à nouveau, il précise qu’il n’a rien vu de ce qu’il décrit :

« Après l’assaut, nous étions avec des collègues au niveau du passage Saint-Pierre-Amelot lorsque j’ai vu sortir un enquêteur en pleurs qui est allé vomir. Il nous a dit ce qu’il avait vu. »

M. T. P. n’a donc rien vu lui-même, mais se repose sur le témoignage d’un autre enquêteur, qui n’est pas nommé ni identifié, et dont nous n’avons pas la version.

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Il reconnaît un peu plus loin que ces éventuelles tortures n’ont pas pu avoir eu lieu au rez-de-chaussée de la salle, qu’il a visitée et « où il n’y avait rien de tel ». En outre, aucune constatation policière, aucun témoignage direct par les survivants, dont plusieurs dizaines, selon les récits des policiers qui ont donné l’assaut, se trouvaient au deuxième étage, ne viennent accréditer l’idée de ces tortures, au-delà de ces propos rapportés.

  • Une lettre de parent de victime… démentie par les légistes

Second élément, évoqué par le rapporteur, Georges Fenech : la copie d’une lettre envoyée par un parent, là encore anonyme, de victime à un juge d’instruction, qui lui a été transmise. « Sur les causes de la mort de mon fils A., à l’institut médico-légal de Paris, on m’a dit, et ce, avec des réserves, compte tenu du choc que cela représentait pour moi à cet instant-là, qu’on lui avait coupé les testicules, qu’on les lui avait mis dans la bouche et qu’il avait été éventré. »

Là encore, ce parent ne précise pas qui, à l’institut médico-légal, lui aurait donné cette explication.

M. Fenech pose donc la question au préfet de police de Paris, Michel Cadot. Qui dément catégoriquement :

« Je n’ai eu aucune connaissance de ces faits, ni par l’institut médico-légal, ni par les fonctionnaires en question […]. Il n’a été retrouvé sur le site de l’attaque aucun couteau ni aucun autre engin tranchant qui aurait permis ce type de mutilations. »

Il ajoute :

« Je n’ai reçu aucun message de la sorte provenant de l’institut médico-légal ou de la direction de tutelle de la BAC [brigade anticriminalité] concernée. »

Même démenti catégorique de Christian Sainte, patron de la police judiciaire parisienne :

« Je ne dispose pas de cette information et, si ces faits avaient été établis, je pense qu’une telle information ne m’aurait pas échappé. »

Ni armes blanches, ni constats de légistes accréditant la rumeur

Ni le préfet de police de Paris, ni le patron de la police judiciaire parisienne, entendus à huis clos sous serment dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, n’ont donc donné le moindre élément de confirmation.

Au contraire, ils le démentent franchement et assurent que de tels faits n’auraient pu leur échapper s’ils étaient réels.

Christian Sainte abonde d’ailleurs :

« Je précise, pour que les choses soient claires, que certains des corps retrouvés au Bataclan étaient extrêmement mutilés par les explosions et par les armes, à tel point qu’il fut parfois difficile de reconstituer les corps démembrés. Autrement dit, les blessures que décrit ce père peuvent aussi avoir été causées par des armes automatiques, par les explosions ou par les projections de clous et de boulons qui en ont résulté. »

Enfin, François Molins, procureur de la République de Paris, également interrogé, fournit un démenti tout aussi clair :

« C’est une rumeur. Les médecins légistes ont été formels : il n’y a pas eu d’acte de barbarie, pas d’utilisation, notamment, d’armes blanches. Selon un témoignage, les testicules d’une personne auraient été coupés, mais aucune constatation n’a permis de le corroborer. »

Résumons :

  • Aucun témoin direct n’a fait de récit d’actes de torture, ni de corps portant des marques de torture, alors que des dizaines de personnes étaient massées partout dans le bâtiment, y compris à l’étage (la presse anglo-saxonne cite un vieux témoignage, publié au lendemain des attaques, et venu de jeunes femmes cachées dans le sous-sol du bâtiment qui parlent de cris, mais il est tout aussi indirect et peu fiable).
  • La chronologie des faits et des témoignages est peu crédible : les tortures auraient été commises très rapidement, entre le moment où l’un des terroristes se fait exploser au rez-de-chaussée du bâtiment et celui où les forces de l’ordre donnent l’assaut à l’étage.
  • Les deux seuls témoignages proviennent d’un policier qui raconte le récit d’un autre, non identifié, et dont rien ne permet d’accréditer le récit, et de la lettre du père d’une victime, qui ne précise pas qui lui a donné l’information. Aucun des deux n’a vu de torture ou de trace de tortures.
  • Aucun constat des légistes n’accrédite la thèse de la torture, ni aucun élément matériel. Aucune arme blanche n’a été retrouvée sur place. Aucun survivant n’a fait état de tortures.
  • Trois officiels (préfet de police, patron de la PJ, procureur de Paris), interrogés séparément et à plusieurs reprises, dans le cadre d’une commission d’enquête à huis clos, démentent formellement cette thèse.

Bref, rien, au-delà de ces deux récits indirects, ne vient accréditer cette rumeur.

En outre, même en adoptant le point de vue des conspirationnistes, on peine à comprendre comment l’Etat aurait fait taire des dizaines de médecins et de policiers et des centaines de témoins. Ni surtout dans quel but il aurait cherché activement à cacher un tel fait, s’agissant de terroristes auteurs de dizaines de meurtres d’innocents ce soir-là.

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